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instances de ses amis, parmi lesquels il faut compter Mme de Staël et Benjamin Constant, il obtint une pension du gouvernement de Hanovre. Mais ce coup trop rude avait achevé de ruiner sa santé ébranlée, et il mourut à Gœttingue le 26 février 1815.

Ainsi finit Charles Villers. Il fut en partie victime des circonstances et, pour l’autre partie, de ses propres idées. L’impression qu’il produit n’est pas de tout point favorable. Un Français, en particulier, éprouve quelque embarras à juger un homme qui avait — ou à peu près — renié la France et qui n’a jamais perdu une occasion de parler de la légèreté, de la fatuité, de l’ignorance de ses anciens compatriotes. Il était intelligent, certes, initiateur, novateur, il a ouvert des voies où d’autres ont passé ; mais ses meilleures idées, il les a trop souvent gâtées par l’exagération, l’outrance, le ton déplaisant et agressif. Ce n’est pas lin très grand écrivain ; c’est un idéologue qui représente parfaitement les tendances d’un parti encore puissant, et c’est un cosmopolite qui par sa situation particulière et, pour ainsi dire, par sa double nature de Français et d’Allemand, a servi de trait d’union et de lien entre deux pays et deux littératures. Après tout, cet érudit un peu trop fier de sa science, naïf, et, comme dit un de ses amis, Reinhard, « d’une force de bonhomie prodigieuse, » ce savant moitié Français, moitié Germain, était un homme très désintéressé, très convaincu, et il est juste de reconnaître qu’il a montré parfois du courage et qu’il vivait à une époque plutôt difficile pour les écrivains, en général, et pour les philosophes.


PAUL GAUTIER.