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Japonais et sa fille contemplaient immobiles le spectacle qu’ils étaient venus s’offrir. La jeune fille, en robe couleur de primevère et la ceinture d’un violet d’améthyste, avait dans son attitude un peu molle et penchée la même grâce que les grappes de glycines qui pendaient autour d’elle. Les plus jolies filles que j’avais rencontrées à Kyoto étaient certes moins jolies. Toute la modestie d’une âme jeune et pure se nuançait en rose dans la transparence ivoirine de son teint. Mes yeux glissaient doucement sur les lignes allongées de sa petite figure et s’arrêtaient au demi-sourire de ses lèvres à peine écloses. Le père, sous ses amples vêtemens de soie noire, une grosse chaîne d’or nouée à sa ceinture, devait être un commerçant notable d’Osaka ou de Kyoto. La cérémonie lui avait coûté dix yen, car il l’avait voulue complète. Mais des pèlerins ou des amateurs moins fortunés peuvent se donner, au prix de cinquante ou soixante sen, le régal princier d’une des plus saintes [et des plus vieilles danses du Japon, dans le plus magnifique décor qu’ait rêvé le mois de mai.

A mesure que le matin s’avançait, le parc de Nara se remplissait de monde et les temples de visiteurs. Ce sont de très anciens temples qui cèdent à l’injure du temps. Mais le rouge dont on les repeint, les innombrables lanternes de cuivre dont leurs galeries sont décorées, ce fard et ces joyaux dissimulent leurs rides, leurs crevasses, leur caducité chancelante. Ils luisent dans la verdure des sous-bois, vénérables de toutes les fêtes qui les illuminèrent et de toutes les torches qu’au mois de février les processions y brandissent encore.

Les divinités nationales y fraient avec les dieux hindous, au murmure des eaux dans des vasques de bronze. Un gigantesque Bouddha, dont la hauteur ne mesure pas moins de cinquante mètres, ressemble à un monstre captif que des nains industrieux auraient apprivoisé. Sa poitrine s’érige comme un vaste rocher vallonné d’ombre. Pourquoi s’étonner que les Japonais nous aient si facilement emprunté nos outillages et nos canons, quand leurs ancêtres ont conquis sur l’Inde et sur la Chine le modèle de ces dieux énormes dont leur petitesse ne fut point écrasée ? La statue de la Liberté qui éclaire le port de New-York ne paraît pas plus grande que ces Bouddhas revêtus d’or ; et je n’éprouverais pas plus de surprise, si je la voyais bientôt projeter ses feux d’un promontoire de la Mer intérieure, qu’un Indo-Chinois ou un