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allez, on en mettait entre les mains des jeunes filles, la veille de leur mariage.

— Vous m’étonnez ! lui dis-je.

— Pourquoi pas ? répliqua-t-il en riant. Ne fallait-il pas les instruire ? Ces collections sont devenues rares. Les Anglais les ont achetées un prix exorbitant. J’ai eu l’idée, moi, d’en reprendre les sujets et de les traiter dans le goût du vieux Japon. Regardez-moi cela : que pensez-vous de cette finesse de tons et de ce fondu et de cet éclat du coloris ?

Et il tournait sous mes yeux les feuillets de son album où le Japon féodal s’exhibait avec un art obscène.

— Vous comprenez, ajouta-t-il en homme qui n’ignore aucune délicatesse, que ma femme aurait été gênée de les regarder devant vous… Thérèse, tu peux rentrer !

Personne ne répondit. Il souleva la portière de la chambre : la chambre était vide.

— Elle sera descendue dans la cour, dit-il. Nous la retrouverons en sortant.

Mais je ne revis point Mme Nikita.

— Ne la dérangez pas, lui dis-je : c’est l’heure où ses enfans la réclament. Vous m’excuserez près d’elle. Je suis terriblement pressé. Adieu et merci.

… O mon cher ami Suisse, mon brave Européen, que votre vanité me semble plaisante et débonnaire, et que j’aime votre façon d’aimer les Japonaises ! Mais au cas où la fille du pasteur, que vous ne voulez pas épouser et que cependant vous épouserez, vous rendrait le plus infortuné des hommes et vous divorcerait, ne lui souhaitez jamais, même dans vos heures d’imprécations, un charmant petit mari japonais !


ANDRE BELLESSORT.