Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/181

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

articuler le nom de papa. Quand je vous l’affirmais, qu’elle était devenue une vraie Japonaise !

— Ah ! madame, lui dis-je, vous êtes impardonnable. La connaissance d’une langue étrangère serait plus tard d’un grand secours à vos fils…

— Pas autant qu’on se l’imagine ! interrompit M. Nikila. Pensez-vous que mon expérience du français m’ait assuré des avantages ? Je n’ai retiré aucun profit de mon séjour en France. Mais, il faut l’avouer, le Japon s’est engoué de l’Angleterre. Ah ! si je savais l’anglais ! Ou si j’étais un mécanicien au lieu d’être un artiste !

Je vis s’imprimer sur la figure de Mme Nikita le même malaise qu’au début de ma visite. Elle prit la parole et, d’une voix fébrile, elle enfila une histoire de faïencerie où son mari engagé comme dessinateur à des appointemens magnifiques avait créé des modèles admirables. Mais les directeurs, jaloux, n’avaient point récompensé son mérite.

M. Nikita ne l’interrompait plus : il souriait, hochait la tête, reniflait l’encens.

— Tu devrais, conclut-elle, expliquer à Monsieur les procédés de céramique que tu as découverts.

Il hésita :

— Ce ne serait pas intéressant, fit-il.

— Permettez-moi d’en douter, lui dis-je. Malheureusement, l’heure avance et je suis obligé de vous quitter.

— Un instant, s’écria-t-il, je ne vous demande qu’un instant ! Je voudrais vous donner une preuve de ma petite habileté… Thérèse, apporte-moi l’album, tu sais lequel, et tu nous laisseras seuls.

— J’ignore où tu l’as mis, murmura-t-elle.

Et tout son sang lui reflua au visage.

— Mais si ! Dans la chambre, sur l’étagère. Va donc !

Elle se dirigea vers la pièce voisine et en revint avec un rouleau qu’elle déposa sur le bord de la table. Puis elle se hâta de disparaître.

— Voilà ! dit M. Nikita. Vous savez sans doute que nous avions au Japon des collections superbes de gravures extrêmement licencieuses dont l’image avait été faite par de très grands artistes. On les prisait à la cour du Shogun et chez les Daïmio. Dans certaines provinces de samuraï, comme à Satsuma où vous