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vaguement senti l’horreur de son forfait : « Le soleil, écrit-il, s’obscurcit pendant dix-sept jours et n’émit point ses rayons, à ce point que les vaisseaux erraient sur la mer ; et tous disaient que c’était à cause de l’aveuglement de l’empereur que le soleil refusait sa lumière : et ainsi monta sur le trône Irène, mère de l’empereur.


V

Irène avait réalisé son rêve : elle régnait. Il semble qu’elle fut alors comme grisée de sa fortune et de sa toute-puissance. Elle osa en effet cette chose inouïe, qui ne s’était jamais vue à Byzance et qu’on n’y revit jamais : elle prit, elle femme, le titre d’empereur. En tête des Novelles qu’elle promulgua, elle s’intitula fièrement : « Irène, grand basileus et autocrator des Romains ; » sur les monnaies qu’elle fit frapper, sur les diptyques d’ivoire qui nous ont conservé son image[1], elle apparut dans tout le pompeux appareil de la souveraineté. Telle, et plus magnifique encore, elle voulut se montrer à son peuple. Le lundi de Pâques de l’année 799, elle revint de l’église des Saints-Apôtres au palais en une procession solennelle, traînée sur un char d’or attelé de quatre chevaux blancs, que tenaient en main quatre grands dignitaires ; vêtue du somptueux costume des basileis, étincelante de pourpre et d’or, elle jetait, selon l’usage des consuls de Rome, à pleines poignées l’argent à la foule assemblée. Ce fut comme l’apothéose de l’ambitieuse souveraine et l’apogée de sa grandeur.

En même temps, toujours habile, elle soignait sa popularité et affermissait son pouvoir. Les Césars ses beaux-frères, dont la tenace ambition survivait à toutes les disgrâces, s’agitaient de nouveau ; cruellement elle réprima leurs tentatives, et les relégua à Athènes dans un lointain exil. A ses amis les moines au contraire elle témoignait une attentive bienveillance : elle faisait bâtir pour eux de nouveaux monastères, elle dotait largement les couvens restaurés ; grâce à sa faveur déclarée, les grands établissemens monastiques de Sakkoudion en Bithynie et du Stoudion dans la capitale se développèrent alors en une prospérité inouïe. Enfin, pour se concilier le peuple, elle prenait toute

  1. L’un est conservé à Vienne, l’autre au musée du Bargello à Florence. Cf. Molinier, loc. cit., I.