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Se peut-il, chère fleur, que vous vous complaisiez
A ce jeu qui transperce ?
Que n’ai-je sur mon cœur un bouclier d’osier,
Comme un soldat de Perse !

Inépuisable odeur, qui nous lie et nous tient
Jusqu’à ce qu’on se pâme,
Il n’est pas de plus doux et de pire entretien
Que d’écouter votre âme.

Ah ! les dieux soient loués ! Vous allez défleurir,
Car les jours se dépêchent…
Mais l’Amour a déjà, de vos mortels soupirs,
Enduit ses dures floches !


MATIN DANS L’ILE-DE-FRANCE


Ah ! c’est un si petit matin terne et charmant,
Un matin de ciel bas, couleur d’eau, de platine,
Les nuages sont comme un attendrissement
Posé sur la douceur de la terre latine.

L’eau d’arrosage, avec sa vapeur de cristal,
Baigne dans le jardin la pelouse jaunie,
Et fait, sous le ciel gris, le bruit oriental
Des jets d’eau dans la cour d’un palais d’Albanie.

Les vifs hortensias avancent mollement
Leurs lourds paquets de fleurs en rose porcelaine,
Ah ! c’est un jour si bon ! c’est un si doux moment !
C’est tant d’espoir dans l’air, sur les eaux, sur la plaine,

Et l’on est tout à coup heureux comme à neuf ans,
On rit près d’un massif de fleurs tièdes et lisses,
On est soi-même abeille, aurore, brise, vent,
On est un cœur qui va jusqu’au fond des calices,