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privilège que vous réclamez ? Nous aurions peut-être le droit de le faire, mais nous ne le faisons pas, puisque nous admettons l’Espagne -à bénéficier du même droit que nous. A des propositions si raisonnables, et en tout cas si modérées, l’Allemagne a répondu par un non possumus ! Ce serait, a-t-elle dit, porter atteinte à l’indépendance du Sultan qui doit organiser lui-même sa police, au moyen d’officiers étrangers qu’il prendra où il voudra. L’Europe interviendra pour surveiller et pour contrôler. On est donc très loin de s’entendre ! Heureusement on a quelque temps devant soi pour chercher un terrain de conciliation, puisque la question de la Banque figure sur le programme avant celle de la police et qu’on est aux prises avec elle. Mais il y a aussi divergence au sujet de la Banque. Nous n’entrerons pas dans l’exposition détaillée des deux systèmes en présence : il suffit de dire que l’Allemagne, faisant table rase des droits que le Sultan a attribués à nos nationaux au moment de l’emprunt en 1904, prétend que les groupes français ne doivent avoir dans la distribution du capital social qu’une part égale à celle des autres. Nous consentons bien à ce que les groupes français renoncent au droit de préférence qui leur a été consenti pour les emprunts futurs, mais non pas sans compensation : l’Allemagne nous refuse cette compensation. Elle nous est due cependant, à moins qu’on ne dise, et c’est contre quoi nous nous élèverons toujours, que les traités ou arrangemens antérieurs à la Conférence, faits avec le Sultan dans la plénitude de sa souveraineté, sont frappés de caducité par le seul fait que la Conférence s’est réunie. Si la Conférence peut prendre des décisions pour l’avenir, elle n’a aucun droit de supprimer celles qui ont été correctement et légitimement prises dans le passé : elle n’a pas d’effet rétroactif. C’est là un principe sur lequel il ne nous est pas possible de céder. La Conférence tranchera le différend, et, après l’avoir fait sur la Banque, elle le fera sur la police. Nous avons, quant à nous, pleine confiance dans son équité : mais en est-il de même de tous ? Il le faudrait pour aboutir, puisque l’opposition d’un seul réduit à néant la volonté des autres. Quoi qu’il en soit, la Conférence en est là.

L’opinion en éprouve quelque nervosité, et M. Jaurès en a profité pour reprendre à la Chambre l’interpellation qui a eu si peu de succès le 16 décembre dernier. M. Denys Cochin, M. Jules Delafosse voulaient interpeller, eux aussi, mais ils n’ont pas tardé à y renoncer, toujours comme le 16 décembre, laissant M. Jaurès seul sur la brèche. Leur abstention a eu sans doute une double cause. Ils ont compris que ce n’était pas au moment le plus aigu de la Conférence