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n’appartenaient pas privément à leurs propriétaires, mais indivisément à la commune. Et non seulement nul laboureur ne pouvait s’approprier les épis tombés dans son champ, le glanage étant « légalement » réservé aux pauvres, mais il était défendu de couper les pailles autrement qu’à moitié de leur hauteur, avec la faucille, et de les tondre de trop près, comme on eût fait avec la faux ; ce qui aurait privé les malheureux d’une ressource qui leur appartenait de plein droit.

Quant aux bois, plus restreinte encore était la part des propriétaires nominaux, dans ces biens que des usagers intransigeans leurs disputaient volontiers à la barre des tribunaux. Heureux devaient s’estimer les maîtres appareils quand ils obtenaient, par un arrêt de cantonnement, de « triage, » disait-on, le tiers franc de cette surface boisée qui était censée « leur forêt. » L’abolition des droits féodaux, en supprimant des redevances dérisoires de 15 centimes par an et par famille, supprima en même temps les avantages considérables que ces redevances semblaient payer. La Révolution opéra ici au profit des nobles, qui avaient des bois sans en jouir, et au détriment des paysans qui jouissaient des bois sans en avoir.

Partout d’ailleurs, elle travailla à affranchir la propriété de tout partage, de toute entrave ; elle extirpa le vieux communisme dont le sol était imprégné encore, sans se soucier de savoir quelle classe sociale en recueillerait le bénéfice. Ce faisant, elle favorisait l’agriculture et par là aidait au progrès, au bien-être général. Mais, dans l’histoire du budget des riches, il est nécessaire de remarquer que, pour porter le même nom qu’aux siècles passés, la propriété rurale d’aujourd’hui n’est cependant pas la même chose que celle de jadis.

La propriété urbaine n’est pas moins différente de ce qu’elle était sous l’ancien régime, — celle du moyen âge n’existait guère. — C’est une valeur récente ; depuis un demi-siècle elle a plus que triplé : de 18 milliards en 1853, à 57 milliards en 1900. Elle a augmenté beaucoup plus que la propriété rurale, qui valait 63 milliards en 1853, et 91 milliards en 1889. Et comme depuis seize ans les terres ont plutôt baissé, l’écart a dû s’affaiblir encore entre les immeubles bâtis et non bâtis. Parmi ces derniers, les maisons bourgeoises forment la plus grosse part : 51 milliards contre 4 milliards pour les usines et 2 milliards pour les « châteaux. »