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Paris seul, s’il était à vendre, coûterait environ 17 milliards, onze milliards pour les maisons et six pour le terrain non bâti. — Il vaudrait ainsi trois fois plus que le Paris de la Révolution, huit fois plus que le Paris de Louis XIV, cinquante fois plus que le Paris de Henri III.

En analysant les recettes, anciennes et modernes, nous devons remarquer que bâtir ou acheter une maison en vue de la louer à d’autres, et non de l’habiter, est un mode de placement qui ne s’est développé qu’au XIXe siècle, avec les constructions du nouveau type provoquées par la hausse des terrains. Ce placement a pris une telle ampleur que certains riches actuels n’en ont pas d’autres ; que tel immeuble est à lui seul une fortune ; et que les lots de maisons qu’ils possèdent à Paris, par centaines, forment une bonne part du patrimoine des plus gros millionnaires français.

Tout différens qu’ils puissent être des nôtres, ces biens sont pourtant les seuls qui nous soient communs avec les siècles antérieurs. Des « rentes foncières, » des « rentes en grains, » des « rentes constituées » sur les personnes et de toutes les autres sortes d’obligations sur papier, au moyen desquelles nos pères mobilisaient leurs valeurs ou leur crédit, il ne reste plus trace. L’hypothèque, telle que nous la pratiquons, était inconnue : qui voulait emprunter sur son logis ou sa terre devait l’« engager, » c’est-à-dire se déposséder en faveur du prêteur, à qui il en abandonnait l’usage jusqu’au remboursement éventuel. C’était donc une simple vente à réméré.

Les prêts sur gages corporels, dont le monopole est réservé à nos Monts-de-Piété, où ils atteignent à peine cent millions de francs, ne tentent que la clientèle la moins fortunée, aujourd’hui où la Banque de France et les établissemens de crédit avancent et warrantent deux milliards de francs aux bourgeois sur leurs titres, aux négocians sur leurs marchandises. Porter ses bijoux, à plus forte raison ses casseroles, au Mont-de-Piété est considéré par nos contemporains comme un moyen héroïque et inavoué de se procurer de l’argent. Le roi Philippe le Long n’en jugeait pas ainsi car, en 1317, une partie de sa batterie de cuisine était en gage pour 1 833 francs et deux cents de ses nappes pour 3 000 francs. Rien d’étonnant si, la même année, l’un des premiers barons du royaume, Guy de Chatillon, comte de Blois, a besoin d’un délai de deux ou trois ans pour payer, en quatre termes 11500 francs.