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liés ; le gouvernement ne les entamait pas à son gré. Les cours souveraines, entre ces générations qui se substituent si doucement les unes aux autres, prennent le goût d’une stabilité quasi perpétuelle qui ne messied pas à la justice.

Mais ce n’est pas au point de vue des résultats judiciaire et politique que nous étudions la vénalité des charges. L’histoire a porté sur elle maints jugemens et nous-mêmes avons déjà traité ce sujet ailleurs[1]. C’est la fortune, et l’usage fait de l’argent, que nous envisageons ici. C’est donc comme valeurs de placement que les offices nous intéressent ; et c’est comme capitalistes, non comme magistrats ou fonctionnaires, que les titulaires de ces offices, aux temps modernes, doivent être comparés aux capitalistes du moyen âge et à ceux de nos jours.

Nous remarquerons d’abord que ces capitalistes des règnes de Louis XIV et Louis XV ne sont pas propriétaires seulement d’emplois civils. Un champ beaucoup plus vaste était ouvert aux prises de l’argent. Avec de l’argent on achetait aussi les charges honorifiques de la maison du Roi, les gouvernemens de ville et de province et les grades militaires jusques et y compris celui de colonel. En somme, on achetait à peu près tout ce par quoi on pouvait être quelque chose, même la familiarité, sinon la faveur du souverain.

Et, par une contradiction singulière et inconsciente de nos pères, quoique l’argent eût, dans ce domaine, une prépondérance qu’il n’avait pas eue aux siècles antérieurs et qu’il n’a plus dans le nôtre, les carrières d’argent ne menaient à tout qu’à la condition d’en sortir. Suivant les idées féodales, l’exercice du commerce continuait à faire perdre la noblesse aux gentilshommes, tandis qu’il la faisait gagner aux roturiers suivant le plan de la société nouvelle.

Certes les charges qui donnaient accès près de la personne royale ne se pouvaient acquérir ni conserver sans l’assentiment du monarque ; pas plus d’ailleurs que le droit de commander un régiment ou de gouverner une cité. Et, pour les avoir payées, il ne s’ensuit pas de là que les possesseurs de ces charges en fussent indignes. Mais, à cause du prix qu’il y fallait mettre, ces postes ne pouvaient être brigués et occupés que par des riches. Les emplois de premiers gentilshommes de la Chambre valaient de

  1. Voyez notre Richelieu et la Monarchie absolue, t. III et IV.