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l’État ; soit qu’ils eussent été enrichis par lui, soit qu’ils se fussent donnés à lui déjà riches, parce qu’on ne pouvait obtenir de grands emplois qu’à très haut prix. Politiquement, il est dangereux pour un État d’avoir de son côté tous les riches et de n’en pas laisser dans l’opposition ; parce qu’une opposition de pauvres gens est toujours plus rude, plus absolue et moins compréhensive qu’une opposition de riches.

Economiquement, cette puissance d’attraction de l’État eut une influence fâcheuse. Il ne faut jamais favoriser l’argent qui veut se reposer ; il faut au contraire le pousser aux aventures. Or on magnifiait l’argent en lui vendant ces charges, dont beaucoup donnaient la noblesse et qui, toutes, donnaient à leur possesseur une suprématie sur les personnes de même classe. Mais, en ouvrant ce débouché à la richesse acquise, on lui faisait une retraite au lieu de l’obliger à travailler. Certains de nos commerçans, de nos manufacturiers devenaient riches ; mais, comme tout riche devenait plus ou moins « fonctionnaire » et gentilhomme et qu’aussitôt il cessait d’être négociant ou industriel, — — « artisan, » disait-on, — les capitaux, à peine formés, sortaient des affaires pour n’y plus rentrer. Le trafic maritime, qui exige de grands fonds, ne les trouvait jamais. Si la France, beaucoup plus avancée que l’Angleterre au début du règne de Henri IV, était fort dépassée par elle au moment de la Révolution sous le rapport de l’activité matérielle, — l’agriculture exceptée, — cela pouvait tenir à la manière française de placer son argent en valeurs improductives.

Après avoir possédé privément des morceaux de fleuves et des familles d’ouvriers ou de paysans, des rançons de prisonniers, des aubaines d’étrangers et des troupeaux disséminés en location chez vingt laboureurs de sa province ; après avoir joui plus tard d’un canonicat, dans une cathédrale où il n’était jamais allé, et d’un monastère dont il encaissait les dîmes, sans avoir le droit d’y entrer ; après avoir acheté une présidence de cour ou une trésorerie générale, ou, plus modestement, une moitié de magistrature et un tiers de perception, — conseiller « semestre » ou receveur « triennal ; » — après avoir hérité une part dans la « ferme des gabelles » ou dans le « parti des cuirs, » une « rente constituée » sur un marquis ou sur un colonel, voire la « seigneurie » d’une paroisse où le seigneur n’avait ni un toit ni un champ ; après avoir possédé dans les siècles pusses,