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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/317

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n’avait jamais pu réussir au théâtre. Rechercher une à une les raisons de cette malchance de Balzac au théâtre, c’est ce qui ne serait sans doute pas bien utile ! Mais, comme on ne peut refuser à quelques-uns des romans de Balzac la qualité d’être « dramatiques, » c’est une preuve de plus que le « dramatique » et le « théâtral » sont deux choses ; et c’en est une aussi de l’erreur que l’on commet quand on persiste à rapporter aux mêmes principes l’esthétique du drame et celle du roman. On pourrait aisément faire un roman, dans le goût de Balzac, avec les Lionnes pauvres ou avec le Demi-Monde ; mais on ne ferait ni un drame avec le Cabinet des Antiques, — ou ce serait de tous les drames le plus vulgaire, — ni sans doute une comédie avec la Vieille Fille ou César Birotteau.

Par où donc et de quelle manière l’influence de Balzac s’est-elle fait sentir au théâtre ? C’est tout simplement en imposant au. théâtre des Augier, des Barrière et des Dumas une imitation désormais plus exacte et plus consciencieuse de la vie. Pour l’intrigue proprement dite, ils ont continué de s’inspirer des exemples du vieux Dumas, et surtout d’Eugène Scribe, — que la Dame aux Camélias n’avait nullement dépossédés de la domination qu’ils exerçaient l’un et l’autre, en ce temps, sur la scène ; — mais ces nouveaux venus ont essayé de mettre en jeu des intérêts moins conventionnels que ceux qui s’agitaient dans Une chaîne ou dans la Camaraderie, dans Mademoiselle de Belle-Isle ou dans les Demoiselles de Saint-Cyr ; ils se sont efforcés de peindre, ou de montrer en action, des caractères moins artificiels, qui fussent vraiment des caractères, et non plus, et seulement, des « emplois de théâtre. »

Là, en effet, était surtout le vice du théâtre contemporain de Balzac. Vaudeville ou comédie, drame, — et je pourrais dire, livret d’opéra-comique ou de grand opéra, l’Ambassadrice ou le Prophète, — quelle que soit la donnée d’un scénario de Scribe ou du vieux Dumas, on y retrouvait toujours les mêmes « pères nobles » et les mêmes « jeunes premiers, » les mêmes « ingénues » et les mêmes « coquettes. » La peinture des mœurs ne consistait qu’à les habiller, selon l’occasion, en « amiraux » ou en « magistrats, » en « grandes dames » ou en « femmes du monde, » en préfets ou en banquiers ; et, pour les caractères, il semblait qu’on s’en remît aux acteurs de leur donner quelque consistance en leur prêtant leur personnalité. Ce qui se ramena