Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

direction d’Indiana, de Valentine, de Mauprat que le talent de Feuillet allait continuer de se développer, avec l’Histoire de Sybille et Monsieur de Camors ; et son rôle allait être d’attaquer ou de contredire, avec plus ou moins de discrétion d’abord, puis ensuite avec une entière franchise, et en s’emparant des moyens eux-mêmes de George Sand, les thèses ou les idées de George Sand.

Un brave homme, — un illettré, — qui devait réaliser ce miracle de faire, sans aucun talent, une carrière littéraire de plus de quarante ans, l’auteur des Bourgeois de Molinchart et des Souffrances du professeur Deltheil, était alors presque le seul qui s’efforçât de suivre les traces de Balzac. Et il l’admirait sincèrement ! Mais, — il y a de ces prédestinations, — ce Champfleury, qui devait finir par une Histoire de la Caricature, n’avait guère entrevu de la Comédie humaine que le côté caricatural, et je pense qu’à ses yeux, tout Balzac devait être dans ses Petits Bourgeois, ou dans sa Vieille Fille. Nous nous sommes expliqué sur la plaisanterie de Balzac ; un exemple de plus n’en sera cependant pas inutile, pour éclaircir le cas de Champfleury. Dans la Vieille Fille, quand Mlle Cormon, en accordant sa main à Du Bousquier, a déçu sans retour les espérances du chevalier de Valois, le chevalier, qui avait été jusqu’alors l’homme « le plus soigné » d’Alençon, se néglige. « Le linge du chevalier devint roux et ses cheveux furent irrégulièrement peignés. Quelques dents d’ivoire désertèrent sans que les observateurs du cœur humain pussent découvrir à quel corps elles avaient appartenu, si elles étaient de la légion étrangère ou indigènes, végétales ou animales, si l’âge les arrachait au chevalier, ou si elles étaient oubliées au fond du tiroir de toilette… » Imaginez trois cents pages de ce genre d’esprit : ce sont les Bourgeois de Molinchart, où l’on ne sait, en vérité, ce que l’on doit le plus admirer, de la « qualité » de ces plaisanteries, ou de l’air de supériorité sur ses personnages que se donne en les en accablant ce parfait nigaud de Champfleury. C’est ce qu’il appela son « réalisme ; » et on conçoit aisément que la prédication ni l’exemple n’en aient entraîné personne. Mais il fit du tort, beaucoup de tort à Balzac. Les Bourgeois de Molinchart et la critique de Champfleury ont un moment accrédité cette idée que le « réalisme » n’était qu’un moyen de caricature ; et que, si la grande supériorité de Balzac était quelque part, elle était effectivement là, dans sa Vieille Fille,