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dans son Gaudissart, dans son Pierre Grassou, dans ses Employés, dans ses Petits Bourgeois, et généralement et d’un mot, dans sa « satire, » mais non pas dans sa « peinture » des mœurs de son temps.

C’est sur ces entrefaites qu’éclatait, 1856-1857, le succès, le scandale, et le procès de Madame Bovary ; et, sans doute, rien ne serait aujourd’hui plus naturel, ou plus tentant, que de dater de là l’influence de Balzac sur le roman contemporain. Mais ce serait encore une erreur ! Il est bien vrai qu’un critique aujourd’hui trop oublié, J. -J. Weiss, n’hésita pas d’abord à ranger le roman de Flaubert au nombre des chefs-d’œuvre de ce qu’il appelait nettement « la littérature brutale, » et il en rapprochait, — ce qui n’était pas mal voir, — les Fleurs du Mal, de Baudelaire, avec les Faux Bonshommes, de Théodore Barrière, ainsi que la Question d’argent, du jeune Alexandre Dumas. Mais nous possédons, pour cette période, une Correspondance très étendue de Flaubert, — avec Louise Colet, — et une Correspondance presque uniquement littéraire, où, tout en l’admirant de confiance, nous ne voyons pas qu’il fréquentât beaucoup Balzac ; et aussi bien son « réalisme » ou son « naturalisme » procédait-il d’une tout autre origine. Flaubert, à cette époque, était surtout un « romantique, » et, quelques années plus tard, c’est ce que devait encore prouver Salammbô.

Faut-il ajouter que l’on ne comprit pas d’abord toute la signification de Madame Bovary ? Mais, ce qu’il y a de certain, c’est que l’on n’y vit point du tout une continuation ou une reprise du roman de Balzac ; et, disons-le, s’il y a dans la littérature contemporaine une œuvre originale, conçue directement et en dehors de toute imitation précise, c’est Madame Bovary. Le « naturalisme » de Flaubert peut se définir par quelques traits analogues à ceux dont nous nous sommes servi pour caractériser celui de Balzac ; mais il ne s’en inspirait point ; et aussi, ne fit-on généralement honneur ou grief à Flaubert que d’être l’auteur de son œuvre, mais non pas de l’avoir imitée ou empruntée de personne. Le style, à lui tout seul, eût suffi pour s’y opposer ; et, en effet, à lui tout seul, il suffisait pour déclarer que l’auteur de Madame Bovary ne s’était nullement proposé de « représenter la vie, » — qu’il exécrait, c’est son mot, autant que Balzac l’avait aimée ! — mais de faire servir la vie à la réalisation d’une doctrine ou d’un idéal d’art. Je ferai même observer