Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/322

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en passant que c’est l’une des raisons pour lesquelles il déplaisait souverainement à Flaubert d’être toujours appelé l’auteur de Madame Bovary. C’est qu’au lieu d’un roman de la vie réelle, il eût voulu que l’on n’y vît qu’une œuvre d’art, et une œuvre d’art de la même nature que la Tentation de saint Antoine ou que Salammbô, puisqu’elle n’était qu’une application des mêmes procédés d’art a la description des mœurs de province.

Nos romanciers le croiront-ils ? C’est à la critique, dont il a si fort médit, — parce qu’aussi bien en son vivant il avait percé sans elle, ou n’en avait guère éprouvé que la malveillance, — et c’est à Taine en particulier que Balzac est redevable d’une part de sa gloire. Serait-elle, sans cela, la même, et, tôt ou tard, son influence eût-elle été aussi considérable ? Je ne saurais prouver le contraire ! Mais, en fait, c’est à l’Essai sur Balzac, de Taine, que l’auteur de la Comédie humaine doit, historiquement, d’avoir été tiré tout à fait de pair ; mis de « plusieurs coudées, » — il aimait cette expression, — au-dessus des romanciers ses contemporains ; et enfin reconnu, « avec Shakspeare et Saint-Simon, le plus grand magasin de documens que nous ayons sur la nature humaine. »

Quand le célèbre essai de Taine, aussi vigoureux que brillant, n’eût fait que donner le signal de l’adoption de Balzac par la critique universitaire, c’eût été déjà quelque chose. En France, depuis une centaine d’années, l’adoption d’un écrivain par la critique universitaire en est, ordinairement, comme une consécration ; et c’est elle qui le met en passe de devenir « classique. » Mais, de plus, on apprenait dans l’essai de Taine, — et sous la plume d’un ancien normalien, c’était une leçon presque révolutionnaire, — que « le bon style » (car il ne disait pas : le style, mais : le bon style) « est l’art de se faire écouter et de se faire entendre ; » que « cet art varie quand l’auditoire varie ; » et qu’il y a donc « un nombre infini de bons styles : il y en a autant que de siècles, de nations, et de grands esprits. » Suivait alors une citation, « la description d’une journée et d’un bouquet, » que Taine empruntait au Lys dans la Vallée, — mais en omettant de dire que Balzac n’a pas beaucoup de pages de cette beauté ni de cet éclat, — et il terminait sur ce point, en disant : « La poésie orientale n’a rien de plus éblouissant, ni de plus magnifique ; c’est un luxe et un enivrement : on nage dans un ciel de parfums et de lumières, et toutes les voluptés des jours