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difficultés dont Paul Ier léguait la solution à son successeur et que rendaient plus difficiles à résoudre les troubles déchaînés par la Révolution dans toute l’Europe. Imbu des idées humanitaires mises à la mode par Jean-Jacques Rousseau, l’empereur Alexandre, à son avènement, ne rêve que réformes dans son empire. Contrairement à son père, qui ne connut d’autres lois que son caprice, il fonde uniquement sur le respect de la loi la prospérité publique. Il entend subordonner à la loi non seulement sa volonté personnelle, mais jusqu’aux prérogatives de la souveraineté dont il vient de prendre la succession. A quelqu’un qui lui demande de la tourner en sa faveur, il répond : « La loi doit être la même pour tous. Si je me permets de l’enfreindre, qui donc se croira obligé de l’observer ? Être au-dessus des lois, alors même que je le pourrais, je ne le voudrais certainement pas, car je ne reconnais pas sur terre de pouvoir légitime qui ne procède de la loi. Je me sens au contraire le premier de tous obligé de veiller à son accomplissement et dans telles circonstances même où d’autres peuvent se montrer complaisans. je ne puis être que juste. »

Voilà de belles paroles et il semble bien que celui qui les prononçait ait tenu à honneur d’en faire la règle de sa conduite. Mais à cela ne se borne pas son ambition ; il poursuit deux autres buts. Il veut procurer le bien-être à ses sujets par une constitution sage et libérale qui leur assure à la fois les services d’un pouvoir fort et les bienfaits de la liberté ; il veut aussi l’affranchissement des paysans. Paul Strogonof, appelé à siéger dans un « Comité secret » où seront étudiées ces grandes réformes, en accepte le principe avec enthousiasme. Préoccupé de les rendre efficaces et durables, convaincu qu’une Constitution est la reconnaissance légale des droits d’un pays et des formes dans lesquelles il peut les exercer, il cherche à assurer la validité de ces droits en créant une garantie qui ne permette pas au pouvoir souverain d’en empêcher l’effet. On reconnaît à ce trait l’influence qu’il a subie durant son séjour en France au début de la Révolution. Il ne s’effraye pas des conséquences qu’aura pour la Russie courbée jusque-là sous la puissance autocratique une Constitution qui donnera des droits au peuple, les lui garantira et lui apprendra à en faire usage. Il ne s’effraye pas non plus de l’affranchissement des paysans, « cette classe nombreuse d’individus doués pour la plupart d’une grande intelligence et d’un