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esprit entreprenant, mais condamnés à croupir, sans état fixe, sans propriété, tant qu’ils resteront plongés dans l’ignorance dégradante à laquelle ils ont été toujours asservis. » Toutefois, il entend qu’on ménage les propriétaires, qu’on aille au but poursuivi peu à peu, de manière à ne pas les choquer et que l’amélioration qu’il convient d’apporter au sort du paysan se produise progressivement. « Il ne faut pas que des mots imprudemment employés puissent faire fermenter les têtes et par là avoir les suites les plus fâcheuses. » Telles sont les idées que, dans le Comité secret dont il fait partie, Paul Strogonof s’efforce de répandre avec une ténacité qui range promptement à son avis ses collègues. Malheureusement, les habitudes anciennes, les positions acquises, les opinions reçues dressent devant lui un mur qui ne pourrait être renversé que si l’Empereur persévérait dans ses premiers projets. Son appui persistant est la condition nécessaire de l’œuvre qu’il a entreprise. C’est cet appui qui va manquer aux collaborateurs qu’il s’est donnés.

Paul Strogonof avait prévu cette défaillance ; il s’était même efforcé de la conjurer : « L’Empereur, écrivait-il, est monté sur le trône avec les meilleures dispositions pour rétablir les choses sur le meilleur pied possible. Il n’y a que son inexpérience, son caractère mou et indolent qui s’y opposent. Pour faire le bien, il faut donc vaincre ces trois empêchemens. Puisqu’il a un caractère mou, le moyen d’avoir sur lui l’empire nécessaire pour faire le bien est de le subjuguer. Comme il est d’une grande pureté de principes, le moyen de le soumettre plus sûrement est de rapporter tout à des principes très purs et de la justesse desquels il ne puisse pas douter.

« Cette même mollesse fait qu’il est très essentiel de ne pas perdre de temps pour éviter d’être prévenu par d’autres qui doivent indubitablement travailler et qui rendraient ce travail d’autant plus difficile. L’indolence de son caractère fait qu’il doit naturellement préférer ceux qui, saisissant son idée avec facilité, l’exprimeront comme il l’aurait voulu faire lui-même et lui offriront sa pensée avec clarté, et même s’il est possible avec élégance. Cette condition de lui épargner ce travail est absolument nécessaire. Comme son inexpérience l’expose à avoir une grande défiance de lui-même, il faut, pour le raffermir et lui donner le moyen de savoir par où commencer, le mettre en état de pouvoir envisager d’un seul coup d’œil toute la masse de son