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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/471

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Pardonnez-moi, mes amis : je vais essayer de me conduire en gentleman ! Donc ce patron, étant uniquement poussé, — comme nous l’a dit tout à l’heure l’éloquent conférencier, par le désir de recueillir assez d’argent pour permettre à son fils de vivre sans rien faire, — en qui, si j’ai bien compris le conférencier, doit également être considéré comme un bienfait pour l’État, — ce patron introduit dans sa fabrique un perfectionnement. Un inventeur malin vient de construire une machine avec laquelle un seul homme pourra faire, désormais, l’ouvrage de cinq hommes. En conséquence, M. Brown, n’ayant en vue que son argent, — qu’il tient à ramasser pour le bien de l’État, — voilà M. Brown qui renvoie quarante hommes ! Et maintenant, mes amis, remarquez bien ce qui arrive ! Et cela arrive tous les jours ; et c’est pourquoi cette question nous intéresse si fort ! Voilà donc quarante hommes sur le pavé ! Leur patron n’a plus besoin d’eux ; personne n’a plus besoin d’eux. Ils n’ont plus d’argent pour payer leur cotisation, et ainsi les voilà effacés de leur trade-union ! Cependant notre ami M. Brown, le patron, n’ayant toujours en vue que le bien de l’État, s’adresse aux dix hommes qui-lui restent. « Mes chers enfants, leur dit-il, je ne puis plus vous payer des gages aussi forts. Je vais les réduire de moitié. Mais, si la chose ne vous convient pas, vous savez, vous êtes libres de vous en aller : il ne manque pas de bons ouvriers pour prendre votre place ! » Car ces quarante hommes qu’on a renvoyés, naturellement, ils ont faim, et puis il faut qu’ils nourrissent leurs femmes et leurs petits enfans : de sorte qu’ils sont prêts à accepter tous les gages qu’on leur offrira !

De nouveau une pause. Un silence solennel. Les sourcils touffus de l’orateur se relèvent, et retombent lentement.

— Et par conséquent, je vous le dis, mes amis : les classes riches profitent de la misère et de la faim du pauvre ! Les souliers mêmes que portent les riches sont tachés de sang !

L’orateur se rassit. La salle presque entière éclata en applaudissemens. Pour les hommes et les femmes qui se trouvaient là, qui travaillaient de leurs mains, et qui connaissaient les angoisses de la misère, il n’y avait pas la moindre trace d’un défaut dans l’argumentation qu’ils venaient d’entendre. En vérité, l’homme de la Fédération Socialiste ne leur avait exposé qu’un fait tout simple, un fait dont leur expérience quotidienne leur démontrait assez la réalité.


C’est ainsi que les nobles représentans de l’idéal, et de la misère de ces pauvres gens les conduit fatalement à la haine. Ils se nourrissent de haine ; et l’on comprend que M. Cope Cornford s’inquiète, pour l’avenir de la société anglaise, du progrès de ce « chancre qui lui ronge le cœur. » L’unique remède, suivant lui, serait dans l’adoption d’une « discipline, » c’est-à-dire d’un nouveau système de lois réglementant le travail. Il nous rappelle que le vieux William Pitt, il y a plus de cent ans, après avoir vu de ses yeux la misère des paysans, avait rédigé un bill qui, « pour la hardiesse de sa conception et l’ampleur de sa portée, n’a jamais été égalé, depuis lors. » Les économistes