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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/518

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salle était continuellement inondée de visiteurs, de curieux, qui se promenaient partout, et se plaçaient dans l’enceinte même destinée aux députés, sans aucune jalousie de la part de ceux-ci, sans aucune réclamation de leur privilège. Il est vrai que, comme ils n’étaient pas constitués, ils se regardaient plutôt comme faisant partie d’un club que d’un corps politique[1].


Cependant on ne tarda pas à s’apercevoir de cette fâcheuse absence de formes, à souffrir de ses conséquences, et à vouloir y porter remède. Dans les « comités » récemment fondés, chez Brissot, chez Clavière, où l’on bavardait beaucoup, on ne parlait que « de rédiger des déclarations de droit et des principes de travail pour les États-Généraux[2]. » Le Courrier de Provence, inspiré par Mirabeau, mais fait en réalité par ces deux Genevois anglicisans, Dumont et Duroverai, « ne cesse de revenir sur le manque d’ordre et de liaison [de l’assemblée] dans ses opérations de constitution et de finances ; sur la manière de poser des principes généraux, sans considérer les questions de détails ; d’anticiper les décisions d’une manière insidieuse… Les défauts de sa police intérieure étaient présentés sans ménagement : c’était un tableau fidèle de l’incohérence, du désordre, de la fougue qui avaient présidé à ses travaux[3]. »

La séance historique et célèbre entre toutes, la nuit du 4 août elle-même, n’échappe pas aux critiques des observateurs expérimentés qui connaissent la valeur des formes : « Jamais, remarque Etienne Dumont, on n’expédia tant d’ouvrage en si peu d’heures. Ce qui aurait demandé une année de soins et de méditations fut proposé, délibéré, voté, résolu par acclamation générale. Je ne sais combien de lois furent décrétées : l’abolition des droits féodaux, l’abolition de la dîme, l’abolition des privilèges des provinces, trois articles qui à eux seuls embrassaient tout un système de jurisprudence et de politique, furent décidés, avec dix ou douze autres, en moins de temps qu’il n’en faut au parlement d’Angleterre pour la première lecture d’un bill de quelque importance[4]. »

  1. Souvenirs sur Mirabeau, p. 43-44. Voyez, p. 54 et suivantes, l’incident provoqué par la présence de Duroverai, autre Genevois, ami d’Etienne Dumont, dans l’assemblée du Tiers-État, incident qui fournit à Mirabeau l’occasion de son « premier triomphe. »
  2. Ibid., p. 33.
  3. Ibid., p. 127-128.
  4. Ibid., p. 142-143.