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dans la Chambre des communes, l’auteur du recueil était M. de R., c’est-à-dire Romilly ; Etienne Dumont en était le traducteur, et Mirabeau, de par les vingt lignes de sa préface, avait fait à ce bâtard inconnu l’honneur de le reconnaître.


Romilly avait fait un travail très intéressant sur les règlemens observés par les Chambres des communes en Angleterre. Ces règlemens sont le fruit d’une expérience raisonnée, et plus on les examine, plus on les admire ; ce sont des coutumes qui se conservent soigneusement dans un corps attentif à ne rien innover ; elles ne sont point écrites ; il fallut beaucoup de soins et de peines pour les rédiger. Ce petit code indiquait la meilleure manière déposer les questions, de préparer les motions, de les débattre, de recueillir les suffrages, de nommer les comités, de traiter les affaires en les faisant passer par différentes gradations, en un mot, toute la tactique d’une assemblée politique. J’avais traduit cet écrit au commencement des États-Généraux ; Mirabeau le présenta et le déposa sur le bureau des communes, lorsqu’il était question de faire un règlement pour l’Assemblée nationale. « Nous ne sommes pas Anglais et nous n’avons pas besoin des Anglais, » voilà la réponse qui lui fut faite. On ne donna pas la plus légère attention à cet écrit, qui fut imprimé ; on ne daigna pas s’informer de ce qui se passait dans un corps aussi célèbre que le Parlement britannique : la vanité nationale était blessée de l’idée d’emprunter la sagesse d’une autre nation, et ils aimèrent mieux persister jusqu’à la fin dans le mode de délibération le plus mauvais et le plus dangereux ; la séance du 4 août en était la preuve[1].


Tel est l’universel et éternel refrain : « Nous ne sommes pas Anglais et nous n’avons que faire de ce que font les Anglais ! »


Quand Brissot parlait de constitution, sa phrase familière était : « Voilà ce qui a perdu l’Angleterre ! » Sieyès, Dupont, Condorcet, Garât et quantité d’autres que j’ai connus, avaient précisément la même opinion. « Comment, lui dit un jour Duroverai, feignant de l’étonnement, l’Angleterre est perdue ! Depuis quand avez-vous cette nouvelle, et par quelle latitude s’est-elle perdue ? »


Mais ni Brissot, ni Dupont, ni Condorcet, ni Garat, ni Sieyès n’en voulaient démordre. Ils niaient l’histoire, ils niaient l’expérience, eux qui les premiers et pour la première fois, à les en croire, apportaient au monde, avec la Révolution, l’évangile des temps nouveaux où tout serait nouveau ou renouvelé. Sieyès surtout était terrible, quand il avait un plan : « Ardent et actif dans son parti, il fait plus faire qu’il ne fait lui-même… Girardin disait de lui qu’il est à un parti ce que la taupe est au gazon :

  1. Souvenirs sur Mirabeau, p. 165.