il le laboure et le soulève. » Or, à cette heure et sur ce sujet, il avait son plan : « C’était lui qu’on pouvait regarder comme le vrai meneur du Tiers-Etat, quoiqu’il se montrât moins que personne ; mais son écrit sur les Moyens d’exécution, etc., avait tracé la marche de l’Assemblée[1]. »
Cet écrit forme une grosse brochure de 168 pages, divisée en trois sections : I. Les États-Généraux ont le pouvoir législatif. — II. Il ne tient qu’aux États-Généraux d’exercer librement leur pouvoir législatif. — III. Les États-Généraux peuvent rendre permanent et indépendant le résultat de leurs délibérations. Par surcroît, deux hors-d’œuvre, à la section II et à la section III : De la banqueroute ; et Développemens concernant la banqueroute. J’ai lu et relu le mémoire de Sieyès ; il faut bien l’avouer : il est fastidieux et vide. C’est un délire de raison raisonnante. La raison, rien que la raison, et jamais avant nous, ni ailleurs que chez nous, ni parmi d’autres que nous, ni parmi nous-mêmes aux heures qui n’étaient pas celle-ci, jamais, jamais on ne fut raisonnable. Les siècles précédens, et le présent même, jusqu’à hier, sont noirs de préjugés gothiques : à quoi bon promener dans leurs ténèbres un flambeau qui ne fera qu’y ajouter sa fumée, et que le vent des controverses éteindra sans qu’il nous ait éclairés ? Avec quel mépris de théologien accoutumé aux certitudes l’abbé Sieyès traite l’histoire et ses tâtonnemens ! Mépris si affiché, qu’il ne doit pas tenir seulement à la construction et aux habitudes mentales du député de Paris ; bien qu’il ne le dise nulle part, on peut croire qu’à l’aversion systématique pour l’histoire et l’expérience se mêle une crainte politique : probablement celle de voir les Etats-Généraux, en reprenant leurs anciennes formes, se resserrer, — et restreindre leur pouvoir, — dans leurs anciennes limites. Mais, toutes deux mêlées ainsi, aversion systématique et crainte politique, comme elles l’assourdissent à toutes les voix, l’aveuglent à toutes les lumières du passé ! Point de conseil qu’il ne repousse, point de témoignage qu’il ne récuse. La raison ! il ne connaît qu’elle, et, en fait de raison, que sa raison à lui, tout au plus que leur raison à eux,
- ↑ Souvenirs sur Mirabeau, p. 65-66.