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1° On le laisse ainsi tout entier à ses fonctions, et à la culture des talens particuliers qu’elles exigent. S’il étoit appelé à soutenir le rôle et la réputation de membre de l’Assemblée, il seroit souvent distrait de son occupation principale, et il auroit une autre espèce d’ambition que celle de sa place, sans compter le danger de ne pas réussir ou de déplaire, et d’affoiblir sa considération personnelle par des prétentions mal soutenues.

2° Cette exclusion est fondée sur une raison supérieure : il s’agit de le garantir des séductions de la partialité, de le mettre à l’abri du soupçon même, de ne point le montrer comme partie au milieu des débats où il doit intervenir comme juge ; de le laisser en possession de toute cette confiance qui, seule, peut assurer à ses décisions l’acquiescement de tous les partis.

On dira peut-être que, le Président ne pouvant pas plus qu’un autre rester neutre et impartial dans des questions qui intéressent la nation entière, obligé surtout, par son devoir même, de s’en occuper sans cesse, il vaudroit mieux lui donner un pouvoir qui l’oblige à se déclarer, à faire connoître ses vrais sentimens, et à mettre ainsi l’Assemblée sur ses gardes, que de le laisser jouir, sous un faux extérieur d’impartialité, d’une confiance qu’il ne mérite pas.

À cette objection, il y a plus d’une réponse. Premièrement, on ne sauroit nier que ses sentimens intimes, tant qu’ils n’influent pas sur sa conduite d’une manière indue, n’intéressent point l’Assemblée, mais qu’il ne peut les déclarer sans devenir moins agréable à un parti, sans s’exposer même à un soupçon de partialité, qui altère toujours plus ou moins la confiance.

Secondement, si vous lui permettez de rester impartial, il le sera plus facilement que tout autre. Il envisage les débats sous un autre point de vue que les débattans eux-mêmes. Son attention, principalement dirigée au maintien des formes et de l’ordre, est distraite du fond principal. Les idées qui occupent son esprit, durant la scène d’un débat, peuvent différer de celles qui occupent les acteurs, autant que les pensées d’un botaniste, à l’aspect d’un champ, peuvent différer de celles du propriétaire. L’habitude facilite beaucoup ces sortes d’abstractions. Si cela n’étoit pas, comment verroit-on des juges pleins d’humanité fixer leur attention, avec une parfaite impartialité, sur un point de loi, pendant qu’une famille tremblante attend, sous leurs yeux, l’issue de leur jugement ?

Il résulte de ce qui précède que, dans une nombreuse assemblée politique, où l’on doit s’attendre à voir naître des passions et des animosités, il faut que celui qui est appelé à les modérer ne soit jamais dans la nécessité de s’enrôler sous les bannières d’un parti, de se faire des amis et des ennemis, de passer du rôle de combattant à celui d’arbitre, et de compromettre, par des fonctions opposées, le respect dû à son caractère public[1].


Plus loin, et pour conclure :


Ce qui me reste à dire sur le choix du Président se réduit à peu de mots. Il faut qu’il soit élu par l’Assemblée, exclusivement par elle, à la majorité absolue, et au scrutin. Il faut de même qu’il soit amovible par elle seule.

  1. Tactique des assemblées législatives, p. 71-75.