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Je n’ai jamais cru pour ma part, et je crois moins que jamais, après expérience, que le règlement de notre Chambre des députés soit admirable. De tous les hommes d’État qu’il m’a été donné de rencontrer, je n’en ai connu qu’un seul qui l’admirât ; c’était le comte Badeni, ancien président du conseil des ministres cisleithan, au plus fort de sa lutte contre les pangermanistes. Il en estimait surtout les sévérités, beaucoup plus apparentes que réelles, menaçantes sur le papier, mais dans la pratique telum imbelle sine ictu. Il nous retournait le mot fameux : « La liberté comme en Autriche ! » en disant, le plus sérieusement du monde : « L’ordre parlementaire comme en France ! » Et c’était un éloge, mais qui n’allait pas bien loin. Notre règle législative, ou, si l’on veut, notre pratique est défectueuse sur plus d’un point. Relevons-en deux parmi les plus saillans. La Chambre française pousse jusqu’à l’abus et jusqu’à l’absurde le sans-gêne avec lequel elle traite son ordre du jour : chaque soir elle passe une demi-heure à le fixer pour la séance suivante, et quand il est fixé, elle met comme un malin plaisir à le renverser, de telle sorte qu’il est à peu près impossible de savoir, en arrivant, sur quoi l’on discutera, et par conséquent de se tenir prêt. Ensuite, elle joue vraiment trop des « projets de résolution, » qui ont le double inconvénient de n’être pas prévus, de n’être pas nommés, de n’être pas connus dans le règlement, et ce qui est pis, dépourvus qu’ils sont de toute sanction, et vides de toute force, d’abaisser au rôle d’un Conseil général qui ne peut qu’émettre des vœux une Assemblée souveraine qui peut faire des lois. Voilà deux déformations, deux déviations de notre mécanique, et ce ne sont pas les seules, il y en a d’autres. La prochaine Chambre devrait, je dirais volontiers devra entreprendre la réforme parlementaire, qui n’est sans doute pas la première des réformes à accomplir, — la première est la réforme électorale, — mais qui est incontestablement la seconde. Or, la réforme parlementaire consisterait, avant toute chose, dans la réforme du règlement, et commencera par elle. L’ouvrage de MM. Moreau et Joseph Delpech, dont on ne saurait assez dire le mérite, viendra à point pour y aider, pour rendre plus facile et plus sûre une tâche qui eût été très difficile et très hasardeuse sans lui.


CHARLES BENOIST.