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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/555

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fief la province de Satsuma, dont les chevaux, les orangers, les arbres à cire, les cèdres, les camphriers, le coton, le riz, le thé, les mettaient au rang des princes les plus riches de l’Empire. Leur éloignement leur avait assuré une demi-indépendance. Ennemis héréditaires des Tokugawa, qui avaient usurpé le pouvoir, ils attendirent deux siècles l’occasion de secouer un joug dont ils eussent essayé de s’affranchir plus tôt si le sentiment de leurs immunités ne leur en avait adouci la rigueur. Ils déguisaient à peine leurs tendances séparatistes. Leurs samuraï, au nombre de quarante mille, répartis dans toute la province, en occupaient les passages et, même cultivateurs, s’entraînaient à la guerre. Ce furent des hommes réputés pour leur droiture, mais âpres, bornés comme leur horizon. Ils menaient une vie d’exercices violens et de saké. Ils poussaient souvent le mépris de la femme jusqu’à ses conséquences les plus vicieuses. Leurs filles étaient élevées à l’orientale, loin des hommes, et le mariage n’était pour elles qu’une sombre et brutale initiation. Les enfans apprenaient une danse que dansaient aussi les hommes et que dansent encore les vieillards : une sorte de pyrrhique où le danseur armé d’une lance fait front de tous côtés à des ennemis imaginaires. On leur enseignait l’escrime et l’équitation et, sans les assouplir aux manières cérémonieuses des habitans du centre, on leur inculquait une politesse hautaine, une courtoisie un peu sèche. Le peuple tremblait sur leur passage. Et, durant les deux siècles de paix que les Tokugawa régnèrent, on pourrait presque dire que leurs petits chevaux blancs restèrent harnachés, et que, les sabres à la ceinture, ils épièrent le boute-selle de la guerre civile.

L’arrivée des Européens, vers 1850, et l’affaiblissement du pouvoir shogunal les jetèrent dans des alternatives de révoltes tumultueuses et de sourdes fureurs. En 1863, l’escadre anglaise, pour venger l’assassinat d’un sujet britannique, bombarde leur capitale. Cinq ans plus tard, ils se revanchent sur les troupes du Shogun, et le Sud est vainqueur au cri de : Mort à l’Étranger ! Mais la Restauration Impériale, où la féodalité craque de toutes parts, ne leur paraît qu’une sacrilège duperie. Les divisions éclatent au milieu d’eux. Cette vieille province avait mûri, dans l’ombre et le silence, des esprits politiques audacieux, clairvoyans, et qui s’épanouirent soudainement à la façon des fleurs séculaires. C’est de Kagoshima que sont sortis les plus grands