Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laisserons-nous entraîner à examiner cette question, mais il nous faut d’abord montrer quels changemens la mort de Monseigneur apportait dans la situation du Duc et de la Duchesse de Bourgogne. Ce sera pour nous l’occasion de pénétrer un peu plus avant dans les mœurs et les habitudes de cette cour des dernières années de Louis XIV, moins étudiée, moins intéressante, nous en convenons, que celle des années brillantes, mais à laquelle le vieux Roi, impassible en apparence sous le coup des revers, continuait d’imprimer, par la constante majesté de son attitude, une mélancolique grandeur.


I

Une première question se posait. Sous quelle appellation serait désormais désigné le Duc de Bourgogne ? Son père était Dauphin : mais l’usage s’était établi, on ne savait trop pourquoi, de l’appeler : Monseigneur, tout court. En userait-on de même avec le Duc de Bourgogne, ou bien le traiterait-on de Dauphin en sa qualité d’héritier de la couronne, et bien qu’il ne fût que le petit-fils du Roi ? Le lendemain même de la mort de Monseigneur, le Roi, à l’attention duquel aucun détail n’échappait, trancha la question. A peine levé, il fit appeler le duc de Beauvilliers auquel revenait, comme premier gentilhomme de la Chambre, le soin d’assurer l’observation de l’étiquette, et le prenant à part dans l’embrasure d’une fenêtre avec le Chancelier, il convint avec eux, après avoir versé encore quelques larmes, que le nom, le titre et toutes les prérogatives du rang de Dauphin et de Dauphine, devaient appartenir au Duc et à la Duchesse de Bourgogne. En se mettant à table à midi, il fit connaître cette décision, disant à haute voix « que cela avoit été un abus de traiter défunt M. le » Dauphin de Monseigneur, et qu’il était tombé lui-même dans cet abus, l’appelant ainsi dans sa jeunesse[1]. »

Une seconde question restait à trancher. Comment parlerait-on au nouveau Dauphin, et comment parlerait-on de lui ? Lui dirait-on : Monsieur, ou : Monseigneur, et dirait-on : Monsieur le Dauphin, ou Madame la Dauphine, ou bien : le Dauphin et la Dauphine tout court ? La question demeura incertaine pendant quelques jours, et Dangeau nous met au courant de ses

  1. Sourches, t. XIII, p. 86.