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perplexités, ne sachant comment il doit rédiger son Journal. Au bout de quelques jours, cette question fut ainsi tranchée. En parlant du Duc de Bourgogne on dirait : Monsieur le Dauphin. En lui écrivant, on mettrait Monseigneur le Dauphin ; mais en lui parlant, on lui dirait : Monsieur. La décision était importante. Ce n’était en effet que peu à peu, nous dit Saint-Simon, et « par la très moderne et fine introduction de l’art des princes du sang et de leurs valets principaux » que l’usage s’était introduit de les appeler en leur parlant directement : Monseigneur. Peu à peu les bâtards en avaient profité, et se faisaient traiter de Monseigneur, tout comme les princes légitimes. Le Duc de Bourgogne avait toujours été choqué de cet abus. A son sens, il appartenait aux subalternes, mais non point aux courtisans, de traiter directement les princes de : Monseigneur. Ce fut lui qui insista pour qu’en parlant de lui on dit désormais : Monsieur le Dauphin, et pour qu’en lui parlant on lui dît : Monsieur. Il eut quelque peine à l’obtenir, et souvent il eut à reprendre ceux qui par inadvertance l’appelaient : Monseigneur. Mais les autres princes du sang, et surtout les bâtards ne prenant point cette peine, l’usage de dire : Monseigneur, subsista, non sans que chacun eût le sentiment que tout cela était provisoire, et qu’un jour viendrait où le Duc de Bourgogne mettrait toutes choses sur un autre pied, abaissant les bâtards, et relevant les seigneurs[1]. Quant à la Duchesse de Bourgogne, elle fut titrée, et il ne pouvait y avoir d’incertitude : Madame la Dauphine, et c’est ainsi, comme le feront désormais Saint-Simon et Dangeau, que nous la désignerons parfois.

Le nouveau rang du Dauphin et de la Dauphine devait se traduire par certains signes extérieurs. Le Roi attacha à la personne du Dauphin le même nombre de gardes qu’à celle de Monseigneur et décida qu’il ne sortirait qu’accompagné d’un brigadier. La Duchesse de Bourgogne n’avait que quatre gardes à cheval quand elle sortait. Elle en aurait huit désormais. A la messe, elle aurait un carreau distinct de celui de sa belle-sœur, la Duchesse de Berry. Le Roi décida en même temps que, lorsqu’elle dînerait en public, elle aurait droit à la nef, au cadenas, et au bâton. Lorsque, quelques mois plus tard, elle dîna pour la première fois en public, il y eut foule pour la voir manger, et le Mercure de

  1. Saint-Simon, édition Chéruel de 1856, t. IX, p. 156 et 171 ; Dangeau, t. XIII, p. 384.