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flambeau, » ait consenti à décrire, en 1728, une apparition du saint évêque Jansénius au cardinal Fleury ou à versifier une diatribe contre Ignace de Loyola.

Mais d’autre part, c’est bien Voltaire qui, en août 1725, c’est-à-dire trois ans après avoir écrit l’Épitre à Uranie, adressait à la présidente de Dernières la lettre si curieuse où se lisent ces lignes : « Je sers Dieu et le diable tout à la fois assez passablement. J’ai dans le monde un petit vernis de dévotion que le miracle du faubourg Saint-Antoine m’a donné. La femme au miracle est venue ce matin dans ma chambre. Voyez-vous quel honneur je fais à votre maison, et en quelle odeur de sainteté nous allons être ? M. le cardinal de Noailles a fait un beau mandement à l’occasion du miracle, et pour comble ou d’honneur ou de ridicule, je suis cité dans ce mandement. On m’a invité en cérémonie à assister au Te Deum qui sera chanté à Notre-Dame en action de grâces de la guérison de Mme La Fosse… »

Ce fragment d’une lettre écrite à la Comédie-Française dans la loge d’une actrice a besoin d’explication, car nous y voyons Voltaire mêlé de la façon la plus directe aux choses du jansénisme. Voici les faits : Anne Charlier, âgée à cette époque de quarante-cinq ans et femme du sieur La Fosse, ébéniste au faubourg Saint-Antoine, fut guérie subitement, le 31 mai 1725, en suivait la procession de la Fête-Dieu, d’une perte de sang dont elle souffrait depuis vingt ans, et qui l’avait réduite à l’extrémité. L’effet produit par cette guérison soudaine et radicale fut d’autant plus considérable que le prêtre qui portait l’ostensoir, messire Goy, curé de Sainte-Marguerite, était un appelant de la bulle Unigenitus, c’est-à-dire, aux yeux des jésuites, un janséniste avéré, un hérétique notoire. C’était donc, à soixante-dix ans d’intervalle, une réédition de ce fameux miracle de la Sainte-Épine qui en 1656 avait transporté Pascal de joie et d’admiration. Ici, Pascal c’est Voltaire en personne, Voltaire âgé de trente et un ans et déjà célèbre. « Pour comble ou d’honneur ou de ridicule, dit-il dans sa lettre, je suis cité dans le mandement. » Et de fait, il est bel et bien question de Voltaire dans le mandement de Noailles qui relate officiellement le miracle ; voici le passage qui le vise de la manière la plus directe. Après avoir parlé du désintéressement dont Mme La Fosse fit preuve en refusant absolument les présens que voulaient lui faire « une auguste princesse et d’autres personnes d’une grande