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pourrait dire au juste quelle idée ou quel sentiment le faisait agir en cette circonstance. Or si Voltaire, en 1725, a pu contrefaire ainsi le janséniste pour complaire à sa famille ou à ses amis, rien n’empêche de croire qu’en 1728, durant son exil en Angleterre, il ait fait, pour se réconcilier avec son frère ou pour toute autre raison, de nouvelles avances aux jansénistes. Il aurait alors, sans se mettre en frais d’imagination, improvisé en quelques heures le petit poème que des contemporains lui ont attribué sans la moindre hésitation. Il aurait aussi, par la même occasion, et parce que son penchant pour la satire lui tenait lieu d’inspiration, composé avec plus de plaisir et avec plus de verve les dix-neuf strophes de l’Ode sur les matières du temps qu’on lui attribuait de même. A nous de voir maintenant si les considérations d’ordre purement littéraire autorisent ou non cette attribution. La contexture du « poème héroïque » de 1728 est on ne peut plus simple : une double invocation hors de proportion avec le reste de l’ouvrage, une longue prière adressée à l’Eternel par Soanen, évêque de Senez, prisonnier à la Chaise-Dieu, et finalement une apparition de Jansénius qui invite le cardinal Fleury à changer de politique religieuse, telles sont les trois parties de ce fragment d’épopée contemporain de la Henriade. Les vers sont facilement faits, trop facilement même, et quelques-uns d’entre eux sont assez beaux, celui-ci par exemple à propos des Jésuites qui, au dire du poète :


Peuplent l’enfer de saints et le ciel d’idolâtres,


ou ceux-ci encore, à propos de ces mêmes Jésuites :


Quelque fier ennemi qui les ose outrager,
Si, pendant qu’il respire, ils n’ont pu se venger,
Lorsqu’il n’a plus de traits qui puissent le défendre
Ils attendent sa mort pour attaquer sa cendre.


Mais, dans l’ensemble, ces vers ne sont pas d’un véritable poète ; ils sont d’un versificateur très habile qui traduit Virgile ou qui imite Racine, et qui réédite avec des variantes certains épisodes de la Henriade : il n’y faut pas chercher la trace d’une Conviction sincère ou d’une émotion profonde ; et d’ailleurs on la chercherait en vain même dans la Henriade.

Ce qui donne encore à penser que ces vers sont bien de Voltaire, c’est d’abord la mention de « l’exil injuste » auquel le