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les voir, pour ne se pas faire des affaires ; au moyen de quoi, il ne sera plus possible de démasquer l’imposture et la friponnerie, s’il y en a.

Cette réflexion fut fort applaudie du magistrat, qui ajouta : Vous me ferez un grand plaisir de continuer de les voir, et d’y engager aussi messieurs vos confrères. Je serai charmé en particulier que M. Ferrein en voie.

R. — J’en ai déjà fait voir à M. Petit, médecin de M. le Duc d’Orléans, et je compte en faire voir à plusieurs autres suivant que j’en trouverai l’occasion.

LE MAGISTRAT. — Je pourrais vous en procurer moi-même de plusieurs bureaux. Mais j’aime mieux que vous vous passiez de moi.

Après cette conversation, dont je suis persuadé, Monsieur, que le détail vous aura fait plaisir, l’on se sépara fort satisfait l’un de l’autre. Notre médecin continue de voir et se propose, à ce qu’il m’a dit, de faire avec ses confrères des rapports en forme.

Mais voici encore du plus curieux. Ce médecin alla voir il y a quelques jours M. l’évêque de Soissons. Il trouva le prélat avec M. l’abbé Desnotz et un autre ecclésiastique. Après avoir parlé de |la santé de l’évêque, M. de Soissons lui dit qu’il était charmé de le voir, qu’on lui avait dit qu’il avait vu des convulsions, et qu’il le priait de lui rendre compte de tout ce qu’il avait vu, et surtout des crucifiés. M. Dubourg le satisfit avec autant de détails qu’il l’avait fait avec M. Bertin. L’évêque témoigna autant de surprise que de satisfaction. Le lendemain M. Dubourg se trouva dans une maison où M. l’évêque de Senlis racontait lui-même fort exactement tout ce qu’il avait dit à M. de Soissons. Peu de jours après, il trouva encore un autre évêque, dont j’ai oublié le nom, qui l’aborda sur-le-champ en lui disant : Monsieur, vous avez vu des crucifiés, je vous prie de nous en faire le détail, ce que le médecin fit, et nos seigneurs sont comme les autres dans un excès d’étonnement de ces prodiges. Je ne sais si, au premier jour, nous n’en verrons pas quelqu’un qui viendra nous donner sa bénédiction.


Cette lettre, transcrite exactement sur l’autographe, n’est assurément pas d’un aliéné, et les médecins modernes ne désavoueraient pas leur confrère de 1758 ; voici maintenant un autre fragment de la même lettre, il est très court, mais il est bien troublant : « Lundi et mardi la petite Adrienne me vint voir. Jamais je ne l’ai vue se porter mieux. Tous les soirs à dix heures on lui clouait les deux pieds sur sa croix. Elle passait ainsi la nuit, dormant comme une autre, et le matin, à cinq ou six heures, après être déclouée, elle allait par les rues où ses affaires l’appelaient. Cela a dû durer ainsi jusqu’à samedi. Aujourd’hui elle doit commencer à coucher d’une autre manière. Ce sera tout debout pendant toute la nuit les pieds cloués sur sa croix, et ce sera sa manière de se coucher jusqu’à l’Avent. Tous les écrits de nos docteurs ne l’empêcheront pas de bien dormir dans une si étrange situation. »