Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait commencé à neuf heures et demie ne finit qu’à deux heures et demie. Le Duc de Bourgogne avait amené de Versailles, dans ses carrosses, un assez grand nombre de courtisans. Il les fit prendre part avec lui à un dîner magnifique qu’avait préparé le cardinal de Noailles, et voulut que, durant ce dîner, on laissât entrer quantité du peuple qui désirait le voir manger. « Une bourgeoise, qui étoit grosse, ayant témoigné beaucoup d’envie d’une tourte qu’il mangeoit, sur le rapport qu’on lui en fit, il lui en envoya un morceau, et comme elle voulut venir lui en rendre grâce, il le trouva bon et lui répondit qu’il étoit plus aise de le lui avoir envoyé qu’elle ne l’étoit de l’avoir reçu[1]. » — « Je suis fâché, dit-il en s’en allant, d’être venu à Paris pour une si triste occasion, mais je suis bien aise de voir l’amitié du peuple et des bourgeois de Paris pour ses princes. » Avant que de partir de Paris, il fit savoir à tous les courtisans qui avoient eu l’honneur de venir dans ses carrosses que ceux qui avoient envie de demeurer à Paris le pouvoient sans craindre qu’il le trouvât mauvais, qu’il vouloit qu’on fût à son aise avec lui et ne contraindre jamais personne[2]. »


II

Après que Monseigneur eut été ainsi officiellement pleuré et loué, il fallut s’occuper de liquider sa succession. Elle n’était pas considérable. La principale des ressources au moyen desquelles il faisait face à ses dépenses était la pension de 50 000 livres par mois qui lui avait été assignée, comme héritier du trône. Le Roi voulait allouer la même pension au Duc de Bourgogne, mais celui-ci refusa, et déclara se contenter d’une pension de 12 000 livres par mois, demandant que le surplus fût appliqué par le Roi aux besoins de l’Etat. « Ce désintéressement, dit Saint-Simon, plut fort au public. » Une pension de 1 000 livres fut accordée au Duc de Berry que nous avons vu naguère n’avoir pas assez d’argent en sa possession pour s’asseoir à une table de jeu. Ces pensions n’avaient, il faut le reconnaître, rien d’excessif, et c’était tenir compte, dans une juste mesure, des malheurs du temps. Quant à la succession elle-même, le Roi, qui aurait pu en réclamer une part, déclara n’y rien prétendre et chargea le

  1. Sourches, t. XIII, p. 145.
  2. Dangeau, t. XIII, p. 435.