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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/669

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pas. Ils marchent d’un pas déjà alourdi par la mort. Ils avancent parce qu’il le faut, mais tous se plaignent, aucun ne veut mourir. L’archevêque pense qu’il ne couchera plus « dans sa belle chambre peinte, » le chevalier qu’il n’ira plus le matin « réveiller les dames, » et leur donner l’aubade, le curé qu’il ne recevra plus l’offrande. Le sergent s’indigne que ce mort ait l’audace de porter la main sur lui, « un royal officier ! » Il cherche, ce sergent, à se retenir aux titres, aux fonctions, à toutes ces choses humaines qui paraissent si solides et qui se brisent sous les doigts comme un fétu. Le laboureur lui-même ne paraît pas pressé de suivre son compagnon, car il lui dit :


La mort ai souhaité souvent,
Mais volontiers je la fuisse.
J’aimasse mieux, fut pluie ou vent,
Estre en vignes où je fouisse.


Et le petit enfant qui vient de naître, qui ne sait dire que « a, a, a, » lui aussi, comme le vieux pape, et le vieil empereur, regrette la vie.

Désir de vivre que rien ne peut rassasier, et impossibilité d’échapper à la mort, cette terrible contradiction de la nature humaine n’a jamais, je pense, été présentée avec plus de force. La danse macabre peut choquer nos délicatesses. Il est permis de ne pas s’y plaire et de trouver le breuvage amer. Pourtant, on est obligé d’avouer qu’elle est au nombre de ces grandes œuvres qui ont su incarner et rendre visibles à tous les yeux quelques-uns des sentimens primordiaux de l’âme.

La danse macabre du cimetière des Innocens est la plus ancienne de l’Europe. La prétendue danse macabre peinte à Minden (Westphalie) en 1383, que Peignot considérait comme la première de toutes[1], était tout autre chose qu’une danse macabre. C’était une simple figure de la Mort peinte sur un panneau mobile. Au revers, on voyait une femme qui symbolisait le Monde ou la Chair. Quant à la danse macabre du couvent des Dominicaines de Bâle, qu’on a longtemps, sur la foi d’une inscription mal lue, attribuée au commencement du XIVe siècle, elle est en réalité du milieu du XVe.

La danse macabre n’est donc pas d’origine allemande. Tout

  1. Peignot, Recherches historiques sur les danses des morts. Paris et Dijon, 1826.