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ce qu’on a dit de l’affinité d’un pareil sujet avec le génie germanique se trouve contredit par les faits. La danse macabre n’est pas plus allemande que l’architecture gothique, — bien que de beaux esprits aient prouvé qu’il était nécessaire qu’il en fût ainsi.

Si d’ailleurs on étudie les danses macabres, on les trouve toutes françaises d’inspiration. La danse macabre de l’église Sainte-Marie à Lubeck, peinte en 1463, mais restaurée depuis, trahit par une foule de détails son origine. Comme à Paris, les clercs et les laïques alternent ; la mort qui emmène le pape porte un cercueil, le médecin tient une fiole, et le petit enfant est couché dans un berceau. Quant aux vers allemands qui accompagnent le texte, ils paraissent traduits d’un original français du XIVe siècle, prototype commun du poème du cimetière des Innocens, du poème de Lubeck, et d’un poème espagnol intitulé la Denza general de la muerte[1].

Comme la danse macabre de Lubeck a inspiré les danses macabres des pays du Nord : celle de Berlin, celle de Reval, et les gravures danoises du XVIe siècle, il n’y a pas à chercher d’originalité de ce côté.

On n’en trouvera pas beaucoup plus dans l’Europe du Sud. Les deux danses macabres de Bâle supposent un original français. Malgré des additions et des interpolations, dont plusieurs peuvent provenir de retouches, on y retrouve notre hiérarchie et presque tous nos personnages.

Comme les danses de Bâle ont inspiré les livres xylographiques allemands, et ces livres à leur tour la danse macabre de Metnitz (Carinthie), il en faut conclure que les pays du Sud subissent tout aussi bien que les pays du Nord l’influence de la France.

Il est bon de rappeler aussi que la première danse macabre peinte en Angleterre, celle de Londres, avait été faite à l’imitation de celle de Paris, un peu avant 1440. Un moine, John Lydgate, qui revenait de France et qui avait vu l’original, avait traduit en anglais les vers du cimetière des Innocens.

Il paraîtra bien avéré maintenant que c’est de la France que

  1. C’est ce qu’a très ingénieusement établi M. Seelmann dans son petit livre : Die Totentänze des Mittelallers. Leipzig, 1893. Le poème allemand et le poème espagnol ont même conservé un aspect plus archaïque que le poème du cimetière des Innocens.