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ailleurs. La plus belle trouvaille est le geste de la mort qui dissimule sa hideuse figure derrière son bras maigre pour ne pas effrayer le petit enfant. On dirait qu’elle a honte. L’homme qui a trouvé cela est un vrai, un grand artiste. Il est permis de croire qu’avec ce tempérament il a pris plus d’une liberté avec son modèle.

Le succès si rapide de la danse macabre est un phénomène singulier. Comme il nous est difficile d’imaginer l’état d’esprit des générations qui achetaient la Danse macabre de Guyot Marchant ! Comment croire que les hommes d’alors aient pris tant de plaisir à avoir chez eux et à feuilleter à toute heure ce funèbre album de la mort ? N’est-il pas extraordinaire que la première édition en ait été épuisée en quelques mois ? Guyot Marchant, pour plaire à ses acheteurs, enrichit la seconde édition (1486) de plusieurs personnages : le légat, le duc, le maître d’école, l’homme d’armes, le promoteur, le geôlier, le pèlerin, le berger, le hallebardier, le sot. Il mit de la coquetterie à embellir son sujet et à lui prêter des charmes nouveaux. Il fit graver par exemple sur la première page quatre cadavres musiciens qui conduisent le branle.

Le succès de Guyot Marchant rendit jaloux Vérard, le plus fameux éditeur du temps. En 1492, il mit en vente une Danse macabre qui ressemblait étrangement à celle de son confrère. Le public fit bon accueil au livre de Vérard, et bientôt les imprimeurs de province, ceux de Lyon, de Troyes, voulurent avoir leur Danse macabre. A la fameuse foire de Troyes il s’en vendait des milliers d’exemplaires. L’engouement fut tel que la danse macabre entra dans l’illustration des livres d’Heures et devint un des motifs que le chrétien eut à toute heure sous les yeux.

Guyot Marchant, cependant, jugeait qu’il n’avait pas épuisé le succès. Il imagina quelque chose d’audacieux. Le 7 juillet 1486, on vit à l’étalage de sa boutique, qui était derrière le collège de Navarre, une Danse macabre des femmes. Pour que rien ne manquât à l’intérêt du volume, il y avait ajouté la Légende des trois morts et des trois vifs, le Débat du corps et de l’âme et la Complainte de l’âme damnée. C’était une belle couronne de fleurs funèbres.

La Danse macabre des femmes ne saurait d’ailleurs se comparer à l’autre. Comme on sent bien qu’elle est l’œuvre d’un homme et non pas d’un siècle ! La vieille danse macabre, œuvre