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à la populace acharnée contre sa maison ; la servante-maîtresse Peggy et les satellites qu’elle mène tambour battant, les demoiselles, riantes et parées ce soir, qui, demain, seront prêtes à tous les sacrifices ; pour résister à l’oppression anglaise et préparer l’avenir de leur pays libéré, cette Mary Hamilton au premier rang, dont le type rare existe encore au pays où on nous la montre prudente et courageuse, adroite et sincère, poussant le self-control jusqu’à l’héroïsme, si réservée, si patiente qu’on pourrait croire chez elle parfois à une froideur qui n’est que l’extraordinaire possession de soi ? Nous le verrons bien lorsque, intrépide, elle ira chercher par-delà l’Océan l’homme qu’elle aime, l’arracher aux abominables geôles anglaises où pourrissent les prisonniers de guerre. Qu’il ait les apparences d’un félon, elle n’y croit pas, sa foi est la plus forte. De telles femmes, — puisse leur espèce se multiplier en tous pays ! — réalisent l’éternel féminin qui élève l’homme au-dessus de lui-même ; elles semblent nées pour conduire ceux qu’elles éblouissent et qu’elles subjuguent vert ; de grandes choses, tout en leur restant fidèles jusque dans la pire adversité.

Des scènes de tout premier ordre, bien que très diverses et que nous ne saurions trop recommander aux lecteurs attentifs d’un roman qui ne doit pas être parcouru à la légère, sont les discussions entre Franklin et Paul Jones, l’attaque nocturne par celui-ci des côtes anglaises à Whitehaven, la rencontre dans la vieille abbaye, à Bristol, de Mary Hamilton, toute à la recherche de son amant, avec Paul Jones déguisé, dont la tête est mise à prix. Supérieure encore peut-être, la page courte et vibrante où sonne le premier salut accordé au drapeau américain, que nul n’avait reconnu encore, par une frégate de guerre française. Pauvre petit Ranger, misérable et délabré ! Il ne sait ce qui l’attend, dédain ou sympathie, et le voilà qui, sur la |côte de Bretagne, près de Quiberon, passe lentement, de l’air le plus fier possible, entre les formidables vaisseaux de haut bord de la marine française. Les treize coups du salut réglementaire sont tirés. Lui répondra-t-on, ou bien son salut va-t-il être négligé comme le serait celui d’un bateau de plaisance dont les passagers auraient agité leur mouchoir ?… Soudain on voit s’élever un flocon de blanche fumée ; puis les puissans canons du vaisseau amiral ébranlent l’atmosphère : une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf fois… Après quoi, ils se