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Marie de Médicis, qui joua un si grand rôle dans les troubles du règne de Louis XIII, et fils de ce duc de Luynes qui, s’étant retiré à Port-Royal après la mort de sa première femme, avait fini par en sortir pour tomber éperdument amoureux d’une novice, sa tante, qu’il détourna de prononcer ses vœux et qu’il finit par épouser. Elevé lui-même à Port-Royal, il avait conservé de cette éducation première, avec un grand respect pour ses anciens maîtres, dont il ne partageait cependant pas les doctrines, une grande aversion pour les Jésuites. Grand, bien fait, d’une figure agréable, il avait l’esprit cultivé, le goût des recherches philosophiques et scientifiques, un don naturel de parole, l’habitude de s’exprimer élégamment et en termes fleuris, un grand don de persuasion auquel contribuaient sa bonne grâce et sa politesse. Avec toutes ces qualités, il était enclin aux chimères, enfantant sans cesse des projets de tout genre en matière de finance, de politique intérieure, ou d’expéditions militaires[1], et, à raison même de cette fécondité d’esprit, assez dangereux pour lui-même et pour les autres. Personnellement peu riche, il avait acquis de grands biens par son mariage avec une des filles de Colbert, mais il avait compromis sa fortune par l’exécution de projets grandioses qui avaient pour objet de mettre en valeur sa terre de Dampierre, entre autres par le creusement d’un grand canal qu’il destinait à transporter ses bois jusqu’à la Seine et dans lequel il ne parvint jamais à faire couler une goutte d’eau. Aussi était-il dans une situation assez embarrassée lorsqu’il reçut la charge de gouverneur de la Guyenne, où il ne résida au reste jamais, mais dont les appointemens considérables lui vinrent fort en aide.

Les fonctions qu’il exerçait à la Cour étaient en réalité beaucoup plus importantes que celles d’un gouverneur de province, et par là nous n’entendons pas parler de la charge considérable de capitaine des chevau-légers, dont il était investi, mais d’un office beaucoup plus délicat qu’il exerçait en secret. Il vivait avec son beau-frère Beauvilliers dans une intimité constante, le voyant à Versailles tous les jours, souvent plusieurs fois par jour, le recevant constamment à Dampierre, ou allant le voir à Vaucresson. Sa discrétion était si grande que, peu à peu, Beauvilliers avait pris l’habitude de l’entretenir de toutes les affaires qui passaient au

  1. Les riches archives du château de Dampierre contiennent de nombreux brouillons des projets du duc de Chevreuse qui n’ont jamais vu le jour.