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jusqu’à une heure si avancée, que les quelques personnes, attardées dans les autres salons, en plaisantèrent et se mirent à dire qu’il faudrait faire avertir la duchesse de Chevreuse, pour qu’elle ne crût pas son mari perdu. La glace ne fut pas cependant complètement rompue, et la Duchesse de Bourgogne, malgré tous les soins dont Chevreuse et Beauvilliers l’entouraient, continuait de se méfier un peu d’eux, redoutant même, bien à tort, qu’ils ne prévinssent son mari contre elle, et ne sachant pas, malgré tout son esprit, comme dit avec raison Saint-Simon, « que les effets de la vraie piété, de la vraie vertu, de la vraie sagesse, sont d’étouffer et de cacher avec le plus grand soin et les plus extrêmes précautions ce qui peut altérer la paix et la tranquillité du mariage. » Mais du moins elle ne faisait rien pour ébranler le crédit des deux beaux-frères auprès de son mari, et, dans la pensée des courtisans, ce crédit était si grand « que sans rien changer à la modestie de leur extérieur, ni à l’arrangement de leur vie, ils ne pensèrent qu’à se dérober, le plus qu’il leur fut possible, aux bassesses entassées à leurs pieds[1]. »


IV

Si Beauvilliers et Chevreuse, par scrupule et humilité chrétienne, cherchaient à refouler au dedans d’eux-mêmes les espérances d’avenir qu’avait pu faire naître en leurs cœurs la mort de Monseigneur, et peut-être même à se les dissimuler, il était, dans leur entourage, quelqu’un qui ne prenait pas tant de peine, bien que, pour d’autres motifs, il eût soin de ne rien laisser percer de sa joie : c’était Saint-Simon.

Au moment de la mort de Monseigneur, les relations de Saint-Simon avec le Duc de Bourgogne n’étaient ni fréquentes, ni intimes. Cependant par Beauvilliers et par Chevreuse d’un côté, par Mme de Saint-Simon que la Duchesse de Bourgogne honorait de son amitié, de l’autre, les occasions ne lui avaient pas manqué de se rapprocher du jeune prince, qui lui savait gré d’avoir pris ouvertement son parti lors de ses pénibles démêlés avec Vendôme. Nous disons « ouvertement, » parce que nous voulons bien en croire Saint-Simon sur parole, quoique certaine retraite en son château de la Ferté, au plus fort de la crise,

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, t. IX, p. 297 et passim.