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retraite qu’il explique par le regret d’entendre injustement attaquer le Duc de Bourgogne, ressemble bien un peu à un abandon. D’autre part, il était au plus mal avec les principaux de ceux qui composaient la cabale de Meudon, en particulier avec d’Antin, car ils avaient eu querelle à propos d’une de ces questions de préséance entre pairs, qui tenaient si fort au cœur de Saint-Simon. Il était donc de ceux dont l’ambition avait le plus à redouter l’arrivée au pouvoir de cette cabale, conséquence inévitable et prochaine, semblait-il, de la mort du Roi et de l’avènement au trône de Monseigneur. Aussi, dans l’immortel récit qu’il a laissé des derniers momens de celui dont il redoutait si fort de devenir le sujet, convient-il, avec sincérité, des sentimens assez bas qui l’animaient. Au cours d’une conversation qu’il eut avec la Duchesse d’Orléans, durant les quelques heures où l’on crut Monseigneur hors d’affaires, il se dépeint « pour en parler franchement et en avouer la honte » se lamentant avec cette princesse qui n’aimait pas davantage Monseigneur, de le voir échapper, à son âge et avec sa graisse, d’un mal si dangereux, réfléchissant tristement qu’après une dépuration de cette sorte, il ne restait plus la moindre pauvre petite apparence aux Apoplexies, et que celle des indigestions était ruinée sans ressources, depuis la peur que Monseigneur en avait prise, enfin concluant plus que langoureusement qu’il fallait compter que ce prince vivrait et régnerait longtemps. « Madame de Saint-Simon, ajoute-t-il, tout dévotement, enrayoit tant qu’elle pouvoit ces propos étranges, mais l’enrayure cassoit et entretenoit ainsi un combat très singulier, entre la liberté des sentimens humainement pour tous très raisonnables, mais qui ne laissoit pas de nous faire sentir qui n’étoient pas selon la religion[1]. » Et lorsque, la nuit suivante, le bruit soudainement répandu que Monseigneur était à l’agonie rassembla tout le monde dans la grande galerie de Versailles, il avoue encore qu’il sentait malgré lui un reste de crainte que le malade en réchappât et qu’il en avait une extrême honte.

Monseigneur n’en ayant pas réchappé, Saint-Simon n’essaye pas de dissimuler sa joie de la situation nouvelle faite au Duc de Bourgogne, et il nous raconte, avec ingénuité, les efforts persévérons- tentés par lui pour s’ancrer davantage dans la confiance

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, t. IX, p. 111.