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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/794

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très précieuse et sa valeur augmente tous les jours. Nous devons donc la protéger contre tout ennemi extérieur. Mais avant d’examiner les conditions militaires de cette tâche, il importe d’étudier la situation politique de la colonie et en particulier les sentimens de la population à notre égard. Nous pourrons en déduire l’attitude probable de nos protégés en cas de guerre ; c’est de cette attitude que dépendent la liberté de nos opérations et le recrutement des troupes indigènes qui forment la principale force de notre corps d’occupation.

Il faut donc chercher avant tout à savoir ce que pensent de notre domination nos sujets d’Indo-Chine, et les hommes les mieux renseignés éprouvent quelque hésitation à nous répondre. En effet l’Annamite, qui forme le fond de la population indochinoise, soumis à tous les pouvoirs forts, est réservé jusqu’à la dissimulation dans ses rapports avec l’autorité ; travailleur, très attaché à la terre, indifférent à la politique et à la religion, il paraît uniquement préoccupé des intérêts matériels, et cependant il reste respectueux des anciens rites et pratique le culte des ancêtres. Il veut que l’autorité soit forte, et pourtant il la critique volontiers par derrière, parfois non sans esprit. Son sens pratique est très développé, et sa crédulité est sans bornes. Capable d’apprécier les avantages matériels de notre civilisation et d’en profiter, l’Annamite reste avant tout attaché à la tradition.

Il n’est pas douteux que notre domination soit plus douce que celles qui l’ont précédée, qu’elle ait réalisé de grands progrès matériels et moraux, et qu’au Tonkin, par exemple, elle ait été accueillie avec joie. Après une longue période de troubles et de guerre, elle a donné au pays une paix profonde dont il nous a été reconnaissant. Mais il faut ajouter que le souvenir de ce bienfait est déjà lointain pour les populations annamites et qu’il s’éloigne tous les jours. Nos chemins de fer profitent dans une très large mesure aux régions qu’ils traversent, puisqu’ils couvrent leurs frais avec le seul transport des voyageurs indigènes ; ils ouvrent au surcroît de population des débouchés dans des régions presque inhabitées qui lui inspiraient une horreur superstitieuse. On l’a fort justement dit : le lien qui attache l’Annamite au tombeau de ses ancêtres s’est allongé de toute la longueur du rail. Nos travaux d’irrigation, encore que trop peu nombreux, donnent à la culture des espaces considérables et accroissent la richesse du pays. Mais leur utilité, bien