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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/84

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des gens de la Cour trouvait toujours un prétexte pour s’y arrêter. Faisons comme les gens de la Cour et prenons le chemin de Cambrai, où nous nous arrêterons.


V

Pendant les années 1709 et 1710 où la France était accablée sous tant de maux divers, la famine, une guerre désastreuse, le désordre toujours croissant de l’administration intérieure, Fénelon avait vu grandir la situation qu’il avait su se faire dans son diocèse, et il était de plus en plus entouré de l’universel respect. Jamais évêque n’avait compris de pareille sorte l’accomplissement de ses devoirs, et ne s’y était adonné avec plus d’ardeur. Il ne se bornait pas à distribuer aux hôpitaux, aux monastères, aux pauvres honteux la plus grande part de ses revenus, ne conservant pour lui-même que ce qui était nécessaire pour maintenir sa maison sur un pied convenable, mais il visitait régulièrement les malades et les prisonniers ; il prenait soin des blessés ; il ouvrait, au lendemain de Malplaquet, son palais épiscopal à tous les fuyards, y compris les paysans qui, épouvantés, s’étaient réfugiés dans la ville et avaient envahi avec leurs bestiaux les cours et les jardins de l’évêché. Il y conservait les officiers blessés, quelle que fût leur nationalité, faisait évacuer son séminaire pour y soigner les soldats de la maison du Roi et prenait à sa charge les frais de ce lourd entretien. Comme on lui faisait observer que les revenus de son archevêché n’y suffiraient pas : « Dieu nous aidera, répondit-il ; la Providence a des ressources infinies sur lesquelles je compte sans méfiance. Donnons seulement tant que nous aurons de quoi. C’est mon devoir, c’est aussi ma volonté[1]. »

Ce n’était pas seulement une charité inépuisable que les malheurs dont il était témoin donnaient à Fénelon l’occasion de déployer, charité qui n’était que l’accomplissement de ses devoirs d’évêque ; c’était encore un zèle ardent pour la chose publique que l’injuste disgrâce, dont il continuait à se sentir l’objet, n’avait rebuté en rien et qui saisissait toutes les occasions de montrer son dévouement « à la patrie, » mot moins fréquemment employé alors qu’il ne l’est de nos jours, mais qu’on

  1. Fénelon à Cambrai, par M. Emmanuel de Broglie, p. 213.