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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/83

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remettait à Saint-Simon quelques notes qu’il avait préparées. Ils procédaient à l’échange de leurs papiers lorsque, brusquement, la porte s’ouvrit, et la Dauphine entra : « Le fixe des yeux, dit Saint-Simon, l’immobilité de statue, le silence, l’embarras également dans tous trois, dura plus d’un long pater. » Le premier mouvement de la Dauphine avait été évidemment un peu de dépit du mystère qui lui avait été fait et de l’éloignement où elle avait été tenue par un mari sur lequel elle croyait régner exclusivement. Cependant, au bout de quelques instans, sa bonne grâce naturelle l’emporta, et, avec un sourire aimable qui rassura Saint-Simon, elle dit au Duc de Bourgogne : « Je ne vous savois pas en aussi bonne compagnie. — Puisque vous m’y trouvez, Madame, répliqua le Duc de Bourgogne, souriant aussi, mais avec moins de bonne grâce, allez-vous-en. » La princesse ne se le fit pas redire ; toujours souriant tout à la fois à son mari et à Saint-Simon, elle fit une pirouette, sortit et ferma la porte. — Eh bien, Monsieur, dit Saint-Simon au Dauphin, si vous aviez bien voulu tirer le verrou ? — Vous aviez raison ; répliqua le Duc de Bourgogne, et j’ai eu tort, mais il n’y a point de mal ; elle étoit seule heureusement, et je vous réponds de son secret. » Saint-Simon était moins rassuré, et le duc de Beauvilliers aussi, à qui il conta l’aventure et qui en pâlit. Ils avaient tort : à l’honneur de la Duchesse de Bourgogne, il ne transpira rien de sa découverte ; personne ne fut mis par elle dans la confidence du secret qu’elle avait surpris. Quelques années auparavant, il est probable qu’elle en aurait parlé et bavardé ; mais les épreuves l’avaient formée ; elle savait se taire, vertu assez rare chez les femmes, à en croire le bon La Fontaine ; elle était mûre pour être reine.

Quant au sujet de ces entretiens sur lesquels s’étend longuement et avec complaisance Saint-Simon, nous y reviendrons lorsque, dans la célèbre publication intitulée : les Projets de gouvernement du Duc de Bourgogne, nous essayerons de démêler ce qui appartient soit au Duc de Bourgogne, soit à Saint-Simon lui-même. Mais pour l’instant, il nous faut quitter la Cour et rendre visite à un personnage plus considérable et plus intéressant encore, dont souvent nous avons eu occasion de parler, et chez qui la mort de Monseigneur dut faire naître des sentimens bien complexes. Saint-Simon rapporte qu’au lendemain de cette mort, Cambrai devint la seule route de toutes les différentes parties de la Flandre et que tout ce qui y servait