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du mouvement des idées. Ayons même la loyauté de reconnaître que, présentée sous une forme un peu moins naïve, elle pourrait être assez embarrassante. A voir, à lire, à entendre beaucoup de catholiques, on se rend compte que leur façon de raisonner, et même de penser, n’est pas d’aujourd’hui : il y a, à n’en pas douter, un écart de plusieurs siècles entre leur « mentalité » et la « mentalité contemporaine. » D’où vient ce singulier phénomène ? Nous n’avons pas à le rechercher ici ; mais le fait est là, et il ne serait que trop facile à prouver. Que de fois, par exemple, dans des sermons de prédicateurs même instruits et distingués, n’entend-on pas développer des argumens qui feraient sourire de simples bacheliers ! Il est même arrivé que l’exemple descendît de plus haut qu’on ne voudrait, et, sous des plumes très justement réputées, on a rencontré des opinions à tout le moins singulières. N’est-ce pas de Mgr d’Hulst qu’est cette appréciation qu’on trouvera sans doute un peu inquiétante : « Les Pensées de Pascal, toujours sublimes, souvent fausses, sont presque un mauvais livre ? » Il semble encore que l’on se soit trop souvent fait de l’« orthodoxie » une conception étroite, ombrageuse, inquiète qu’on ait eu peur des « opinions libres, » peur du « laïcisme ; » et des laïques, peur des initiatives hardies et des idées ; et qu’ainsi d’une doctrine essentiellement positive, d’une doctrine dévie par excellence, on n’ait vu et développé que les côtés négatifs. Cela ne s’est pas fait sans dommage. Et l’on conçoit que des esprits, d’ailleurs sincères, mais peu informes, et trop intéressés ou trop prompts à rendre l’Eglise responsable des fautes de ses fidèles, aient pu conclure à une opposition profonde, irréductible entre le catholicisme et la pensée moderne.

Ce sont là, semble-t-il, les causes principales de l’anticléricalisme français contemporain. Elles ont créé un parti, non pas peut-être très nombreux, mais très énergique, admirablement organisé, et depuis longtemps, pour la lutte électorale, et, en tout cas, à l’heure actuelle, à peu près tout-puissant. Il a le pouvoir en mains, et il en use sans générosité, sans scrupules et sans défaillance. Jamais encore, sauf pendant la période révolutionnaire, l’exploitation et l’oppression d’un grand pays par une minorité, n’avaient été pratiquées avec une pareille impudeur ; jamais encore on n’avait affecté, à l’égard des sentimens vrais d’une nation, un pareil mépris. La France n’est