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acquis, évident, qu’il y a une contradiction que rien ne peut effacer ou pallier entre le dogme et la pensée moderne, et c’est ainsi qu’ils expliquent ce qu’ils appellent « l’éloquente médiocrité intellectuelle » des catholiques. S’ils avaient raison, s’il était vrai, et prouvé, que le catholicisme n’est après tout que la philosophie des esprits médiocres, il y aurait donc lieu de se demander si la religion catholique, correspondant à un état encore rudimentaire de civilisation et de culture, n’est pas nécessairement destinée à disparaître de la surface du globe, et à faire place à une doctrine plus épurée, plus large et plus haute. Pour ruiner à tout jamais l’objection dans les esprits, il ne suffira pas de prouver, par d’innombrables exemples, qu’en fait la croyance catholique la plus assurée n’est point inconciliable avec la vie de l’esprit la plus haute, la plus riche, la plus hardie ; il faudra encore et surtout que la pensée catholique reprenne conscience de toutes les ressources cachées de sa tradition, et qu’elle s’incorpore, pour ainsi parler, toutes les vérités découvertes en dehors d’elle, dans tous les ordres de recherches, et qu’elle a trop longtemps affecté d’ignorer. Elle le peut, sans changer sa nature, sans sacrifier aucune des vérités nécessaires ; elle le peut, et elle le doit. Elle le doit, parce que c’est la mission même de l’Église que de pouvoir « remplir tous les besoins » de l’homme de tous les temps ; parce que rien n’est plus conforme à sa tradition séculaire que de s’adapter d’âge en âge, et d’évoluer, et de progresser, et de s’enrichir sans s’altérer ; parce qu’il n’est pas plus difficile pour elle d’absorber, en quelque sorte, la culture moderne qu’il ne l’était aux temps apostoliques de s’assimiler la civilisation gréco-romaine, et, au XIIIe siècle, la philosophie d’Aristote. Quand cette assimilation sera achevée, quand cette remise au courant et au point sera un fait accompli, quand les résultats en auront passé dans l’enseignement et se seront imposés aux esprits les plus divers, aux humbles comme aux « habiles, » alors on s’apercevra qu’on a enfin trouvé, ou retrouvé, ce « pouvoir spirituel » des temps nouveaux, que tant d’esprits généreux et pénétrans du dernier siècle, — M. Faguet l’a très bien montré jadis[1], — ont essayé de constituer, et qu’ils ont été impuissans à fonder. Et peut-être, dans le monde élargi et renouvelé, une « chrétienté » nouvelle se formera-t-elle, où une

  1. Voyez à ce sujet les trois volumes des Politiques et Moralistes du XIXe siècle.