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cas, et pendant de longs âges, c’est d’elle-même et d’elle seule qu’elle a vécu. Elle a pu se transformer, elle ne s’est jamais contredite. Jamais elle ne s’est aidée en rien des autres genres musicaux, soit de la symphonie instrumentale, soit de la monodie. Tout concours et tout secours a par elle été dédaigné. Bel et rare exemple de constance ! Ainsi l’identité ne contribue pas moins que la durée à la grandeur et comme à l’étendue de cet art. Nous pouvons maintenant regarder avec respect, avec émotion, avec piété, la petite tribune d’où tant de musique, mais une seule musique, et laquelle ! a jailli. Sans doute celle-ci, même en accumulant tous ses chefs-d’œuvre, ne s’est point égalée au chef-d’œuvre unique et colossal vers lequel elle a monté sans relâche. Elle en approcha du moins, elle n’en fut pas indigne. « Mein Reich ist in der Luft, » disait magnifiquement Beethoven : « Mon royaume est dans l’air : » De ce royaume aérien, comme de celui des formes et des couleurs, la chapelle Sixtine est un des lieux sacrés et presque divins.


II

Plus on étudie le plafond de la Sixtine et le Jugement dernier, mieux on comprend que « le monde de Michel-Ange ne connaissait qu’un seul règne, celui de l’homme, à l’exclusion de tous les autres règnes ; l’homme y absorbait et remplaçait tous les phénomènes de l’univers. » Partout sur ces murailles, sous toutes les formes et toutes les couleurs, avec tous les aspects et tous les caractères, la figure humaine triomphe. Et le plus souvent cette figure est nue. Michel-Ange n’a drapé qu’à demi son Christ lui-même, comme certains Césars antiques. Il a refusé « la ceinture de feuilles au couple chassé du Paradis[1]. » Sur les entablemens et les consoles de son architecture feinte, il a partout assis, dressé, ployé, tendu la nudité de vingt adolescens, taillés comme des athlètes ou des dieux. Enfin il a donné pour motif central et dominateur à son prodigieux poème le corps de l’homme et celui de la femme, le premier surtout, le plus magnifique sans doute que jamais des mains humaines aient formé. C’est ici peut-être le point unique de l’espace, et de l’histoire, où le christianisme a fait sienne la splendeur physique

  1. Klaczko.