Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/932

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bourgeois sans fortune, tandis que Jean Reitzell, qui est le fils du Champagne Reitzell est immensément riche et peut, grâce aux millions que lui a gagnés son père, vivre en oisif et en dilettante. Mais il y a un moyen si simple pour arranger ces mariages-là, et qui a déjà réussi dans tant de romans et dans tant de vaudevilles ! La voiture versée de l’ancien opéra-comique est devenue une automobile ; c’est tout le progrès. Les Margès ont recueilli l’automobiliste blessé, que M. Donnay a fait verser justement devant leur maison de campagne ; ils ont eu soin de lui donner pour garde-malade Juliette, qui est charmante. C’est encore là une de ces classiques roueries qui réussissent toujours, et il est donc inutile de se mettre en frais d’imaginations nouvelles. Jean Reitzell est très impressionnable ; c’est un mou, un faible : il est neurasthénique, comme beaucoup de fils dont les pères ont trop travaillé, ou tout simplement comme beaucoup de jeunes gens qui n’ont eux-mêmes aucune envie de rien faire. Il ne sait pas se défendre du piège que lui ont tendu les Margès et de la ruse dont Juliette a été l’instrument inconscient. Il épouse.

Ce mariage ne rend heureux, d’ailleurs, ni l’un ni l’autre des deux conjoints ; il n’est pas dans la définition de Jean d’être heureux, car le bonheur est affaire de volonté ; et Juliette, la seule dans tout ce monde qui n’ait pas le goût de paraître, était faite pour la médiocrité. Entre temps, la belle sœur de Juliette, Christiane, est devenue la maîtresse de Jean ; ce n’est pas très joli, et nous le déplorons, mais comme ni le mari de Christiane, ni Juliette même ne semblent soupçonner la vérité, cette situation pourrait très bien se prolonger sans accident. Tout à coup Jean apprend, et nous apprenons avec lui, quelles sont les vues de Christiane, et qu’elles tendent au mariage avec le jeune millionnaire. Désormais le drame est lancé à toute vapeur, et, suivant la formule, les événemens se précipitent. C’est à Cannes, dans une villa où toute la famille va se trouver réunie. Jean Reitzell, qui avait commencé par trouver un peu hardie l’entreprise faite par Christiane, non sur sa vertu, mais sur ses millions, est complètement converti au projet de son audacieuse belle-sœur, et décidé à ne pas faire traîner les choses : il veut que dans un an Christiane Margès s’appelle Christiane Reitzell. Ce seront tout juste les délais légaux, sans rien autour. Paul Margès, le député socialiste, vient d’apprendre brusquement, — et de la bouche de ses électeurs ! — sa mésaventure : il arrive furieux d’une colère où le dépit électoral semble l’emporter encore sur le courroux conjugal. Juliette, qui jusqu’ici avait ignoré, ou feint d’ignorer, et qui s’était contenue, éclate en tempête et bouscule