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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/933

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sa coupable belle-sœur. Aussitôt Paul Margès tire trois coups de revolver sur Jean Reitzell qui s’affaisse, blessé à mort. C’est le grand jeu et le dénouement avec effusion du sang. Mais nous étions si peu préparés à cette explosion de violence qu’elle nous étonne sans nous émouvoir. Cette tuerie nous déconcerte. Nous nous étions peu à peu accoutumés à cette atmosphère de comédie lente et ironique. Nous avons peine à admettre qu’on nous jette si soudainement en pleine horreur. Nous aurions souhaité qu’on ménageât davantage les transitions ; enfin, nous sommes légèrement ahuris.

Chose bizarre ! Cette pièce, qui avait eu tant de peine à se mettre en route, maintenant qu’elle est terminée, recommence. Jean Reitzell une fois massacré, tout semble bien fini. Aussi n’est-ce pas sans quelque stupeur que nous avons vu la toile se relever. Le frère de Jean Reitzell est venu larmoyer. Le baron, dont ces événemens ont creusé l’appétit, est venu manger un morceau. Un photographe qui avait pris des vues de la villa est venu remercier. Mais personne n’est venu nous expliquer pourquoi l’auteur a jugé bon d’ajouter à sa pièce ces bouts de scènes. Ç’aurait été pour le raisonneur une belle occasion de se rendre utile. Mais un raisonneur qui serait utile à quelque chose, ne serait plus « le raisonneur. »

M. Donnay pourrait aisément reprendre son avantage par l’agrément du dialogue ; mais, outre qu’il nous est bien difficile de suivre un dialogue tout en digressions et qui semble aller au hasard, ce qui surtout en détruit l’effet, c’est ce continuel jaillissement de plaisanteries d’un goût déplorable. « J’ai une mémoire… de plombier ! » « Ce sont des transports… payés. » « Il n’a pas le sentiment de sa fortune, mais il en a les sentimens… » etc., etc. Des développemens entiers n’ont été introduits que pour amener, du plus loin qu’il se puisse, tel de ces jeux de mots. Ce qui amuse dans une nouvelle à la main, dans une fable-express, ou dans une farce chat-noiresque, détonne dans une comédie. C’est ici surtout qu’on ne saurait trop regretter la facilité et la négligence de M. Donnay. S’il n’a pas toutes les qualités de l’auteur dramatique, au moins devrait-il chercher davantage à y suppléer par celles de l’écrivain parisien. Il a une réputation d’homme d’esprit : il devrait faire plus d’efforts pour la remplir. D’un dessin trop peu ferme, d’une composition trop lâche, de nuances trop peu fondues, la nouvelle pièce de M. Donnay, qui n’est pas une de ses meilleures, laisse une impression indécise et semble souvent traînante.

Le grand succès de l’interprétation a été pour Mlle Lecomte, qui n’a pourtant qu’un bout de rôle et de rôle inutile. Mais elle a incarné avec