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nous dit-il de la comédie d’Halifax, dont il vient d’exposer longuement le sujet, voilà un vaudeville, ou, comme nous l’apprend la brochure, une comédie mêlée de couplets : et voilà quelle est la lugubre gaîté (pour ne point parler de la moralité) des nouveaux produits de l’école romantique ! » Dans l’art d’Eugène Sue, qu’il appelle un « industriel » et un « charlatan », il note surtout que cet art est payé à raison de trois francs la ligne : « C’est là, j’en suis certain, le point le plus important pour M. Eugène Sue ; aussi longtemps que cet auteur recevra trois francs par ligne, il ne s’occupera de rien d’autre, et ne se laissera arrêter par aucun scrupule de goût ni de conscience, ni par aucun désir de réputation, ni en vérité par aucune considération quelconque, sauf, naturellement, celle de gagner quatre francs par ligne. » Ou bien encore ce passage, sur l’influence littéraire exercée chez nous, après un demi-siècle, par le grand bouleversement moral et social de la Révolution :


Le goût tout entier d’un peuple ne se transforme pas du jour au lendemain ; et ainsi d’abord le public des théâtres parisiens a continué de se livrer à ses plaisirs coutumiers d’avant la tourmente. Ce n’est qu’aujourd’hui que le changement a fini de se faire. Aujourd’hui, les pièces jouées sur les boulevards sont assurément immorales ; mais leur immoralité est celle que ne pouvait manquer d’engendrer une révolution, suivie de succès militaires. Une génération dont l’enfance a été nourrie de récits d’horreurs domestiques et de batailles au dehors s’est, naturellement, trouvée amenée à désirer des amusemens très forcés de ton, très colorés, très excitans et très pathétiques. Impossible désormais, pour elle, de se plaire à une douce représentation de vertus intimes ; impossible même de s’intéresser à des œuvres d’un goût raffiné, en aucune façon. Un Alexandre Dumas, un Frédéric Soulié, étaient faits pour satisfaire un tel public, pendant quelque temps, et, pendant ce temps, pour pousser plus loin encore la dépravation de son goût. Et puis eux-mêmes ont cessé de lui suffire ; il a requis un aliment plus fort, et plus grossier, et il a repoussé jusqu’à Antony pour se jeter dans les bras de Robert Macaire.


Le compte rendu du Rhin de Victor Hugo n’est pas, non plus, sans contenir maintes réflexions judicieuses. Le charme poétique du livre échappe au critique anglais, mais sa monotonie, son manque de naturel, le contraste entre le caractère tout superficiel de ses peintures et l’emphase hyperbolique de ses conclusions, tout cela nous est rappelé en termes excellens. « Un Atlas supportant une vessie : » tel apparaît à l’auteur d’Esmond le touriste parisien qui, après avoir étalé devant nous les « nombreux et pénibles devoirs inspirés à celui qu’on appelle poète, » procède à nous décrire sa chambre d’auberge ou les