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au milieu de la cité ; les sénateurs confessèrent, ouvertement, leurs intrigues contre les bienheureux ; ils avouèrent la vindicte et les mérites des saints, qui avaient coûté la vie au préfet. Les bienheureux, eux, n’apprirent tout cela qu’en même temps qu’ils connurent son horrible mort. Informés, ils rendirent grâce, mais s’affligèrent de sa mort. »

Un cortège, bientôt, s’engageait sur la Voie Appienne ; avec une troupe de vierges chrétiennes, — sans doute d’anciennes esclaves affranchies, — Mélanie et Pinianus quittaient Rome. Avec eux voyageait Rufin, l’ancien ami de saint Jérôme ; on fit étape en Sicile, quelque temps durant, et Rufin y mourut. Il avait assez longuement vécu pour voir les Goths d’Alaric, chargés des dépouilles de Rome, occuper en conquérans les côtes de Calabre : entre la barbarie envahissante et la patricienne romaine qui s’exilait avec ses religieuses, il n’y avait plus qu’un bras de mer. Il était bon d’être pauvre, alors, pour être libre. Paulin de Nole, chargé de chaînes par les Goths, s’était ensuite vu relâcher, parce que, suivant le mot de saint Augustin, il avait « placé ses trésors dans le sein des indigens. » Mélanie et Pinianus, disant adieu aux enchantemens de leur villégiature sicilienne, passèrent en Afrique, pour achever, eux aussi, de placer leurs trésors. Il y avait là des églises à entretenir, des pauvres à soulager, des captifs à racheter. Dans une de ces églises même, celle d’Hippone, le peuple, en dépit de saint Augustin, sut extorquer à Pinianus, par des manifestations tumultueuses, une sorte de promesse de ne point quitter cette ville : un restant de richesse serait-il donc toujours un esclavage ? Hippone voulait enchaîner Pinianus, parce que Pinianus avait encore de l’or. Au bout de sept ans passés en Afrique, Pinianus et Mélanie, qui n’y possédaient plus rien, s’en furent en Palestine, pour finir de s’y ruiner et de s’y sanctifier ; il leur restait quelques terres en Espagne, et c’est avec l’argent provenant de la vente de ces terres qu’ils développèrent la vie monastique à Jérusalem. Ainsi s’épuisa, en moins d’un quart de siècle, la plus grande fortune immobilière de l’Empire.

Posséder des terres, c’était en même temps posséder des hommes. Le chiffre d’esclaves appartenant à Mélanie échappe au calcul de Gerontius : Dieu seul le connaît, dit-il. Gerontius mentionne seulement que deux ans après sa retraite du monde elle en avait déjà émancipé huit mille. Paulin de Nole, dans un de ses poèmes, évoque à ce sujet le souvenir du grand Valerius Publicola, fondateur