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les ramenant chez eux avec joie… Et les très bienheureux, exultant, se préparaient à disperser largement tous leurs biens et à thésauriser pour le ciel. »


V

La dilapidation fut cependant plus lente que ne le souhaitait la charité de Mélanie : sa villa du Cælius, sa villa de Sicile, ses propriétés d’Afrique, ne furent vendues que peu d’années plus tard. Derechef, par une suprême tentative, des manœuvres sénatoriales, en l’année 408, essayèrent de s’opposer à ce suprême dépouillement. Alaric approchait de Rome : Stilicon était tué, Serena tuée, comme complices du barbare. L’aristocratie sénatoriale frémissait à la pensée de l’attentat qui menaçait la majesté romaine. Il semblait que Rome allait cesser d’être Rome, si les Goths y entraient. Les âmes étaient secouées jusque dans leurs intimes profondeurs ; l’émotion des païens se communiquait à certains chrétiens ; le patriotisme romain se disposait à prendre le deuil. Mais chrétiens et païens interprétaient diversement le décret divin par lequel Alaric humiliait Rome : « C’est la faute à votre Christ, » disaient les païens. « La faute en est à vos dieux, » ripostaient les chrétiens. Pompeianus, alors préfet de Rome, était un païen militant : Zosime nous apprend qu’à sa demande, le Sénat rétablit, par un brusque scrutin, les sacrifices idolâtriques. Mais tandis que le désespoir de Rome invoquait la tutelle des dieux antiques, pouvait-on permettre à une famille sénatoriale de multiplier les générosités envers leur rival Galiléen ? Aussi Pompeianus crut-il défendre Rome en cherchant à Pinianus et Mélanie, désormais privés de leur protectrice Serena, une nouvelle querelle. Un jour, à l’aube, il réunit les sénateurs, il leur remontra qu’il était absurde de prétendre offrir ses richesses au Seigneur, au lieu de les affecter au salut de l’État ; il demanda que ce qui restait de fortune à Pinianus et à Mélanie fût confisqué. La sentence était prête : on allait leur interdire d’enrichir le Christ. Pas d’empereur, pas de princesse, pour conjurer le péril et pour émanciper leur impatiente charité. Mais, par une coïncidence dans laquelle Gerontius voit l’effet de « la providence de Dieu, » ce fut le peuple qui les sauva. « Subitement, dit-il, à cause du manque de pain, la sédition gronda ; le préfet, bientôt arraché à son tribunal, fut lapidé