Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était comme interdit à l’âme de l’esclave d’entrer en contact direct avec la divinité : le maître sacrifiait pour la maison tout entière ; la religiosité personnelle de l’esclave ne trouvait dans les rites païens ni satisfaction, ni sanction. Brusquement, par une sorte de coup d’aile, les consciences de ces humbles, qu’avait libérées le baptême chrétien, pouvaient s’élever jusqu’aux vocations les plus insignes : hier asservies, hier disgraciées du culte officiel, elles pouvaient devenir des privilégiées du culte nouveau. Saint Jérôme, dans une de ses lettres, pleure sur une femme du nom. d’Hylas, esclave de Mélanie l’Ancienne, et qui, dit-il, « avait, par la pureté de ses mœurs, effacé la tache de la servitude. » Battant en retraite devant les barbares avec sa troupe de jeunes esclaves devenues pour elle des « sœurs, » Mélanie la Jeune, à son tour, attestait que la classe servile avait cessé d’être un butin dont la force humaine pouvait capricieusement disposer ; elle attestait que, dans cette classe même une certaine prédestination divine désignait, une élite ; et le respect que cette élite inspirait profitait à l’avènement des idées égalitaires. Mélanie avait pris l’initiative révolutionnaire dont le psaume fait honneur aux conseils divins : au terme des aventureuses démarches par lesquelles la puissante : patricienne s’était elle même « déposée de son siège, » les « humblés étaient exaltés. » Les deux servitudes sur lesquelles reposait le vieux monde déclinant, celle qu’il faisait peser sur les riches en leur interdisant les charités ruineuses, celle qu’il faisait peser sur les pauvres en leur voilant toute perspective de progrès social, étaient l’une et l’autre secouées.


VI

L’écrit de Gerontius semble faire écho à la correspondance de saint Jérôme pour nous prendre à témoin d’une autre émancipation, celle de la femme. La matrone romaine, avant que les religions orientales ne l’eussent invitée à un certain déploiement de piété personnelle, n’était que l’acolyte docile et passive du culte familial[1] ; et voici que la foi nouvelle venait solliciter l’autonomie personnelle de sa conscience, voici que la théologie nouvelle venait réclamer le concours personnel de sa pensée. D’avoir restauré

  1. M. Jean Réville, dans son livre : La Religion à Rome sous les Sévères, Leroux, éditeur, insiste à très juste titre sur cette nouveauté introduite par les religions orientales.