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la dignité d’une moitié du genre humain, c’est ce que Celse, dès le second siècle, ne pouvait pardonner au christianisme[1] ; Origène ripostait qu’en effet le Christ était venu pour tous. « Nous sommes de la même nature que l’homme, proclamait la martyre Julitta ; nous sommes, aussi bien que l’homme, créées à l’image de Dieu. » Clément d’Alexandrie dans les Stromates, saint Augustin dans son traité de la Trinité, justifiaient de leurs affirmations théologiques la fière saillie de Julitta. « Au temps de saint Ambroise, écrit M. Thamin, ce n’est plus assez de dire que la femme est l’égale de l’homme dans l’Eglise, elle tend à y prendre le pas sur lui. La femme est plus près par sa nature des vertus proprement chrétiennes comme la pudeur et l’humilité... Saint Ambroise en vient à diminuer la part de la femme dans le premier pêché, aux dépens de l’homme qu’il charge. Mais sa faute fùt-elle égale à celle de l’homme, la femme est supérieure à l’homme dans l’expiation, et par là garde sur lui une avance morale[2]. »

Certaines boutades de Tertullien ont parfois aveuglé l’histoire : si violentes qu’elles soient, ou, pour mieux dire, à cause de leur violence même, on doit se garder de mesurer au langage du docteur africain le degré de considération que l’Eglise primitive accordait à la nature féminine.

Mais ce qui frappe, surtout, dans les écrits des Pères, c’est l’estime qu’ils ont pour le cerveau de la femme[3].

  1. Voir à ce sujet le livre du professeur Mausbach, de l’université de Münster ; Die Stellwig der Frau im Menscheitsleben, p. 29 (München-Gladbach, 1906).
  2. Thamin. op. cit., p. 359-360.
  3. Est-il besoin de redire une fois encore que jamais concile ne délibéra ni ne vota contre l’existence de l’âme féminine ? Cette légende est dure à tuer ; elle ressuscite, tenace, dans certains livres de valeur. D’aucuns, très informés, s’imaginent que c’est au concile de Trente que fut débattue la question ; d’autres, plus prudens, ne situent ni dans le temps ni dans l’espace ce discourtois concile ; il en est enfin qui prétendent que c’est dans une assemblée d’évêques tenue à Mâcon que la dignité primordiale de la femme aurait été ainsi mise aux voix. Grégoire de Tours raconte (Historia Fraticorum, VIII, 20) qu’une discussion s’engagea, à Mâcon, sur le sens du terme homo dans la Bible latine ; un évêque prétendit que le mot homo s’appliquait uniquement au sexe masculin ; un autre répondit qu’il n’en était rien, puisque Jésus, né d’une vierge et sans père naturel, était appelé Fils de l’homme. Discussion toute verbal, qui a donné lieu, pourtant, dans la suite des temps, à l’indestructible légende d’un concile refusant une âme à la moitié du genre humain. Cf. G. Sorel, La ruine du monde antique, p. 241, n. l, Jacques, éditeur.